Vo Nguyen Giap, le retour du combattant
Le général Giap est sans doute la figure militaire la plus singulière du 20ème siècle. Un siècle marqué par la présence de chefs de guerre qui, comme lui, n'avaient reçu d'autre formation militaire que celle acquise sur le terrain. Il peut être légitimement tenu pour le vainqueur de deux conflits majeurs: les deux guerres du Vietnam, la française et l'américaine.
Mais la carrière de ce général hors pair n'a pas été à la hauteur de son héroïsme. Elle a été marquée par des zones d'ombre et de lumière, par des traversées du désert et des moments de gloire. Il appartient à la génération qui a pris conscience très jeune de l'asservissement de la patrie. Le destin de ce fils d'une famille aisée, expulsé du lycée français de Hue pour agitation, puis enseignant d'histoire dans un collège de Hanoi, a été définitivement marqué par sa fuite en Chine et sa rencontre avec Ho Chi Minh en 1939. De retour au Vietnam, il y a fondé l'armée révolutionnaire Vietminh et s'est appliqué à transformer des paysans en guérilleros.
La victoire à Dien Bien Phu marquera paradoxalement le début de son ostracisme. Lorsque la guerre contre les américains commence, il n'a plus autant de pouvoir pour mener les combats à sa manière même si ses choix stratégiques sont confirmés. Mal aimé et mal compris, Giap a été la cible du nouveau premier secrétaire du parti communiste Le Duan un rival redoutable, jaloux de sa réputation.
A partir des années 60,il est écarté de la scène politique et militaire. Remplacé au Ministère de la Défense en 1980, le vainqueur de Dien Bien Phu quitte le bureau politique deux ans plus tard. Désormais, il sera cantonné à un poste honorifique, celui de ministre du planning familial, une humiliation pour cet homme orgueilleux et conscient de ses mérites.
Aujourd'hui, le gouvernement vietnamien sort Vo Nguyen Giap du placard. Il y a plusieurs raisons à ce retour sur la scène politique à l'âge de 92 ans. D'abord, l'équipe dirigeante qui lui était hostile n'est plus là. Ensuite, les chefs militaires qui s'opposaient à Giap au sein de l'armée ne sont plus aux commandes. Enfin, il est le seul représentant charismatique de la vieille garde encore en vie.
Mais la principale raison est sans doute la volonté du pouvoir d'utiliser le prestige de Giap pour défendre ses propres intérêts. Le charisme et la popularité du vieux général renforcent la légitimité du régime, tout en redorant son image. En tant que dernier disciple vivant de Ho Chi Minh, il est aujourd'hui une icône de l'idéologie des pères fondateurs du communisme vietnamien.
Par Any Bourrier - Radio France Internationale - 7 Mai 2004
" Un volcan couvert de neige " Vo Nguyên Giap
Légende vivante dans son pays, le vainqueur de Diên Biên Phu est sans doute le plus talentueux des généraux du XXe siècle.
Front dégarni, cheveux blancs, affaibli, mais la poignée de main ferme et l’éil pétillant, Giap, quatre-vingt-treize ans, en impose. L’autorité est naturelle, la parole abondante, qu’il ponctue de gestes vifs de la main, tour à tour ironique, péremptoire, quelque peu professoral mais toujours chaleureux. Souvent sur ses gardes, il pèse ses mots. Le militaire est d’abord un politique. " Vous les journalistes, vous me posez toujours des questions sur la guerre. Mais je suis le général de la paix. Le peuple vietnamien a fait la guerre pour son indépendance et sa liberté. C’est une vraie tragédie, ce n’est pas un roman de Tolstoï. "
Légende vivante reconnue par ses pairs comme le plus talentueux des généraux du XXe siècle et le plus grand expert de la guerre du peuple, celui qui a défait les armées françaises, puis américaines, n’aime guère se mettre en avant : " Ce n’est pas mon combat mais celui de tout un peuple. "
Son apparence extérieure tranquille cache un caractère si fougueux que les Français le décrivaient comme " un volcan recouvert de neige ".
Vo Nguyên Giap est né le 25 août 1911 à An Xa, un petit village au centre du Vietnam où son père était riziculteur, sixième d’une famille de huit enfants. Comme tous les Vietnamiens, il est d’abord connu par son prénom. Giap signifie " armure ", Vo, son patronyme, " force ". Un nom qui présageait de son destin. Très jeune, il aime les études, et très vite, il comprend que ses ancêtres n’étaient pas des " Gaulois ". Professeur d’histoire et journaliste, il crée en 1944, à la demande de Hô Chi Minh, l’embryon de ce qui deviendra l’armée populaire du Vietnam qu’il dirigera jusqu’en février 1980.
Bien qu’il ne soit jamais venu à Paris faute d’y avoir été invité par les autorités françaises, Giap maîtrise parfaitement notre langue et peut vous citer abondamment de larges extraits d’Anatole France, Romain Rolland, ou Voltaire.
À Hanoi, dans sa villa entourée d’arbres, à proximité de la place Ba Dinh et de la citadelle, villa modestement meublée et sans climatisation, Giap, qui n’occupe plus de fonctions officielles depuis quinze ans, continue de recevoir des délégations venues de tout le pays. Très populaire, il est respecté et écouté. Fidèle compagnon de Hô Chi Minh, il le cite en permanence comme pour mieux faire passer ses messages politiques. Il me disait : " Sans la population tu ne peux rien faire, avec elle tout est possible. "
J’ai revu le général Giap en décembre 2003. Nous nous connaissons, nous avions régulièrement, dans les années quatre-vingt, de longues conversations, je m’informe donc de sa santé. " Couci-couça ", dit-il en balançant les mains, sourire malicieux aux lèvres. J’avais encore une question à lui poser. A-t-il des regrets ? " J’ai consacré toute ma vie, tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes à servir notre parti et notre peuple. Je n’ai rien à regretter. "
L'Humanité - 7 Mai 2004
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