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Dien Bien Phu fin prêt pour le cinquantenaire de la mythique bataille

DIEN BIEN PHU - Dien Bien Phu s'apprête à célébrer le 50ème anniversaire de la bataille qui porte son nom, victoire historique pour l'accession du Vietnam à l'indépendance, demeurée jusqu'à aujourd'hui un des piliers de la légitimité du régime de Hanoï.

Vendredi, le pays tout entier sera tourné vers ce lieu mythique isolé au coeur des montagnes du nord-ouest du Vietnam, à quelques encablures des frontières lao et chinoise, où s'est achevée le 7 mai 1954 l'une des batailles les plus importantes du XXème siècle. Les combats avaient pris fin avec la défaite française après 56 jours et près de 13.000 morts ou disparus dans les deux camps. Ils avaient marqué le début du processus de décolonisation de l'Indochine et d'autres possessions françaises, en montrant la voie aux peuples colonisés du monde entier.

Si les nombreux villages de minorités ethniques qui entourent la fameuse "cuvette" semblaient indifférents à cette ferveur nationaliste, la petite ville de 70.000 habitants y consacre toute son énergie: les liaisons aériennes ont été multipliées, les hôtels sont complets, les monuments sont rénovés.

Mercredi, les ambassades étrangères avaient été conviées à Hanoï à une première célébration. Mais vendredi, seules des délégations chinoises et lao seront invitées à se joindre aux responsables vietnamiens pour un ultime hommage au sacrifice collectif et à la mobilisation des masses. En attendant, des cars se succèdent pour déposer touristes et vétérans devant le quartier général du Colonel Christian de Castries, chef de la garnison française de Dien Bien Phu. On pose pour la postérité, debout sur le toit du boyau de métal sur lequel les fantassins vietminh avaient hissé le drapeau de la victoire, le 7 mai 1954 vers 17h30.

A deux pas de là, des marchands ambulants tentent de vendre des tee-shirts de mauvaise qualité. Profitant d'une affluence inhabituelle, quatre femmes venues de villages avoisinants proposent des tissus traditionnels.

Un peu plus loin, le monument aux morts français, construit à l'initiative d'un légionnaire et officialisé seulement l'an passé, est désert. Vendredi, le chargé d'affaires et l'attaché de défense français viendront de Hanoï y déposer une gerbe.

La propagande du régime communiste, dont une partie de la légitimité repose toujours sur ses victoires militaires et sur la libération du pays des "oppresseurs" français puis américains, rappelle ici et là que "le grand président Ho Chi Minh vit toujours pour (la) cause nationale". "La victoire de Dien Bien Phu a fait briller la vérité du marxisme, du léninisme et de l'idéologie de Ho Chi Minh", affirmait mercredi le président vietnamien Tran Duc Luong.

Mais une émotion moins dogmatique anime les vétérans vietnamiens, à l'image de Huyen Van Quy, 74 ans, en uniforme d'époque avec casque camouflé et gilet de coton, qui est venu au "cimetière des martyrs" sur une mobylette électrique toute neuve de fabrication chinoise. Lorsqu'un photographe de l'AFP lui demande son nom, il fond en larmes en évoquant ses camarades tués pendant les combats.

Hoang Si Lanh, lui, est hilare. A 71 ans, il vient "allumer des bâtons d'encens pour les compagnons de lutte". "Je ressens une très grande émotion mais aussi une très grande joie", dit-il. "Pouvoir revenir ici, cinquante ans après, est un grand bonheur".

Agence France Presse - 6 Mai 2004


Giap referme le piège

Les 20 et 21 novembre 1953, 5000 parachutistes sont largués à Dien Bien Phu, au Nord-Ouest du Tonkin. Ils préparent le terrain pour installer un camp fortifié qui comptera 15 000 hommes et deux pistes d'aviation, dont une de secours.

Pourquoi à Dien Bien Phu ? Pour couper la route du Laos, interdire l'accès au grenier à riz du Tonkin et, surtout, attirer les troupes du Viêt-minh dans une nasse, selon une stratégie couronnée de succès l'année précédente à Na San, dans la même région. Parallèlement devait se dérouler l'opération « Atlante » en Annam pour pacifier le Centre, le gros des troupes ennemies étant occupé au Nord... Lasse de la guérilla et des opérations meurtrières pour prendre le contrôle de zones aussi rapidement conquises que perdues, l'armée française recherchait une « vraie » bataille. On sait, grâce à ses « Mémoires » publiées en 1956, que le Viêt-minh avait exactement la même intention : lancer une offensive décisive.

Des doutes, déjà en 1953

Depuis les commissions d'enquête sur la défaite, et les nombreux livres publiés, il est de bon ton de critiquer le choix du général Navarre pour Dien Bien Phu : une cuvette de 28 km² surveillée par des hauteurs qui deviendront autant de points d'appui baptisés de noms féminins (Gabrielle, Anne-Marie, Béatrice, Huguette, Dominique, Claudine, Eliane, Isabelle). L'ensemble est à 300 km des bases françaises, donc à la limite du rayon d'action des chasseurs-bombardiers. Et Dien Bien Phu, sans « porte de sortie » terrestre, ne pouvait être ravitaillé que par air.

Fin 1953, personne ne trouve à redire à ce plan, du moins à Paris. En Indochine, les généraux commandant l'Aviation et les troupes aéroportées manifestent leur opposition au projet : on ne les écoute pas. En février 1954, après une tournée d'inspection, le général Blanc, chef d'état-major de l'Armée de Terre et le général d'Aviation Fay feront, dans un rapport au gouvernement, part des mêmes inquiétudes. Apparemment, ils n'ont pas été écoutés non plus, puisqu'en mars 1954, le ministre de la Défense René Pleven déclarait encore que le seul danger à Dien Bien Phu était... la saison des pluies. De novembre 1953 à février 1954, parachutistes, légionnaires et tirailleurs s'enterrent. Des millions de mètres cubes sont retournés, une piste d'aviation mise en état, et l'artillerie laissée en évidence est disposée pour briser un assaut d'infanterie. Pas de béton, seulement des rondins et des sacs de sable !

Artillerie et DCA

Les soldats, comme en témoignent les lettres aux familles, attendent avec impatience l'assaut : ils sont là pour « casser du Viet ». Le 13 mars, un déluge de feu s'abat sur les positions françaises, endommageant la piste d'aviation, le cordon ombilical par lequel arrivent munitions, vivres et renforts... Première surprise : le Viêt-minh a de l'artillerie ! Des centaines de pièces, de fabrication chinoise ou soviétique, ont été acheminées de nuit par des armées de coolies - peut-être 50 000 paysans - sur les collines. L'état-major français ne pouvait pas ne pas le savoir ! Seconde surprise : les « Viets » ont aussi de la DCA ! Quelque soixante avions de combat seront perdus. La DCA gène aussi la ronde incessante des « Dakota » et des « C 119 » qui parachutent volontaires, médicaments et munitions, car il n'est plus question d'atterrir. On connaît la suite : les positions qui tombent les unes après les autres, les corps à corps sous les amoncellements de cadavres, l'enfer dans les postes de secours... Le 7 mai au soir, le général de Castries ordonne l'arrêt des combats. « Isabelle » tombe le 8 mai. Les accords de Genève, qui consacrent la partition du Vietnam sont signés le 27 juillet. Le 9 octobre 1954, les troupes françaises quittent l'Indochine.

Entre 4000 et 10 000 morts

Reste le terrible bilan humain. Les macabres décomptes de l'Armée de terre citent 1726 tués du 20 novembre 1953 au 7 mai 1954, 1694 disparus (prisonniers morts en captivité) et 1161 « déserteurs » (« vrais » déserteurs mais aussi un nombre indéterminé de soldats dont a perdu toute trace). L'Armée de l'Air et le Service de Santé déplorent, chacun, une centaine de morts et de disparus. Soit un total pouvant avoisiner 4000 morts et disparus auxquels s'ajoutent 6000 blessés. Pour de nombreux auteurs, ces décomptes sont sous-estimés. Rien que la Légion étrangère a perdu 1500 hommes au combat. Roger Delpey dans « Dien Bien Phu, histoire d'une trahison » (éditions Grancher) avance le chiffre global de 10 788 tués et disparus. Quant aux pertes du Viêt-minh, elles sont estimées à 50 000 morts.

Par Jean-Claude Kiefer - Les Dernières Nouvelles d'Alsace - 7 Mai 2004