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La France a ignoré un rapport militaire préconisant d'évacuer Dien Bien Phu

PARIS - Le désastre de Dien Bien Phu était prévu et des milliers de victimes étaient évitables, affirme l'historien Roger Delpey, selon qui un rapport militaire, ignoré par les autorités de l'époque, préconisait dès le début du mois de février 1954 d'évacuer les troupes françaises de la cuvette du nord du Vietnam. Au lieu de cela, du 13 mars au 7 mai 1954, elles ont été encerclées et pilonnées par l'artillerie viet-minh, faisant 1500 morts dans le camp français.

"En février 1954, trois mois avant la chute de Dien Bien Phu, il aurait été possible d'évacuer Dien Bien Phu et on n'aurait pas connu cette finale dramatique", avance Roger Delpey dans un entretien téléphonique accordé mercredi à l'Associated Press. "Le devoir de mémoire, en raison des 50 ans passés, ne peut pas être sans un corollaire: le devoir de vérité", ajoute l'auteur de "Dien Bien Phu, Histoire d'une trahison" (Ed. Grancher) qui vient de paraître.

"En janvier 1954, le général Clément Blanc, chef d'état-major de l'armée de Terre, est allé en Indochine à la demande du gouvernement français avec pour mission de faire un rapport sur la situation en Indochine et particulièrement sur la base de Dien Bien Phu", raconte-t-il. Sur place, le général Blanc s'est rendu compte "qu'il y avait un défaut capital dans la préparation française: on avait complètement ignoré l'artillerie" ennemie en pensant que "le Viet-minh n'aurait pas les moyens de hisser les pièces d'artillerie sur les crêtes des montagnes environnantes". Avec son bras droit, le colonel Henri Mirambeau, il a "rédigé les 8 et 9 février 1954 un rapport de 16 pages dont la conclusion était: il faut d'urgence évacuer Dien Bien Phu, qui est une place forte promise à la destruction", rapporte Roger Delpey, qui s'est entretenu à plusieurs reprises avec chacun des deux militaires et a eu sous les yeux un exemplaire de ce rapport.

Le 10 février au matin, une réunion rassemble à Saïgon le ministre de la Défense René Pleven, son secrétaire d'Etat à la Guerre Pierre de Chevigné et le chef d'état-major des armées, le général Paul Ely. Le général Blanc leur lit son rapport et "la conclusion fait l'effet d'un coup de tonnerre", note l'historien. René Pleven était porteur d'une délégation de pouvoirs pour la conduite de la guerre d'Indochine, délégation remise par le président du Conseil Joseph Laniel. Pourtant, il ne modifie rien. "René Pleven explique qu'il n'est pas question d'évacuer Dien Bien Phu, car nous avons pris des engagements envers les Etats-Unis et envers le gouvernement vietnamien", affirme Roger Delpey.

A l'époque, Washington fournissait des armes et des "budgets très conséquents" au gouvernement français pour qu'il tienne son dispositif militaire en Indochine, "car c'était l'époque où les Etats-Unis portaient haute la bannière de la lutte anticommuniste". Or, le retrait était techniquement possible. Le général Pierre Fay, chef d'état-major de l'armée de l'Air, a assuré au général Blanc, avant la réunion de Saïgon, qu'il pouvait "évacuer la garnison de Dien Bien Phu en cinq ou six jours par des moyens aériens", emporter une partie du matériel et faire sauter le reste. "Les troupes les plus valeureuses du Viet-minh n'étaient pas encore proches, elles convergeaient" vers la cuvette.

Roger Delpey pense que le rapport Blanc "a été étouffé". Le général Henri Navarre, commandant en chef en Indochine, avait décidé d'utiliser Dien Bien Phu pour "protéger le Laos en attirant les unités viet-minh et en les cassant à cet endroit précis", rappelle l'historien. Or "il ignorait la rédaction de ce rapport et la conclusion. Il ne l'a appris que beaucoup plus tard". "On n'a jamais vu un chef de guerre ne pas être informé d'un fait revêtant une telle importance", remarque-t-il.

Par cécile Brisson - The Associated Press - 21 Avril 2004.