L'inusable cyclo de Hanoï
HANOI- Au guidon de son cyclo-pousse, Pham Quang Giang pédale une
quarantaine de kilomètres par jour dans les rues encombrées de Hanoï et
cela semble lui réussir: il n'a pas consulté un médecin depuis 34 ans. Le
travail est le secret de longévité de cet homme de... 95 ans.
Rien n'oblige pourtant le doyen des ``cyclos'' vietnamiens à travailler.
Ses 12 descendants encore vivants se feraient un plaisir de le soutenir
financièrement. Mais Giang tient à rester indépendant, du moins tant que
ses jambes ne le trahiront pas.
Ses proches ont bien tenté de le pousser à la retraite en vendant à trois
reprises son taxi-tricycle depuis 1985, mais le vieil homme ne l'a jamais
entendu de cette oreille et a obtenu à chaque fois le rachat de son outil
de travail.
``Je ne veux pas dépendre d'eux. Tant que je pourrai travailler, je
continuerai ainsi'', explique le patriarche dans un large sourire laissant
apparaître toutes ses dents.
Marié quatre fois, Giang est aujourd'hui à la tête d'un véritable clan
familial. Entre son fils aîné, âgé de 72 ans, et sa fille cadette, tout
juste trentenaire, il a eu 14 autres enfants, dont quatre sont morts au
combat durant les guerres d'Indochine et du Vietnam. Malgré cela, il compte
pas moins de 101 petits et arrière-petits enfants...
Sa forme éblouissante lui avait permis en 1981 de réaliser à l'âge de 77
ans un voyage de 1.700km en cyclo-pousse entre Ho Chi Minh-Ville (sud) et
Hanoï (nord). Il lui avait fallu deux mois pour relier les deux plus
grandes villes du pays.
Ses trajets sont désormais beaucoup plus modestes, mais il continue de
jouir de la confiance de ses clients. ``Certains passagers sont parfois
tentés de me plaindre mais, quand ils me voient pédaler, ils reconnaissent
s'être trompés sur mon compte'', explique-t-il.
Quant aux secrets de sa forme au long cours, il assure n'en connaître
aucun, si ce n'est ``rester de bonne humeur, toujours optimiste, et chasser
de mes pensées tout ce qui m'ennuie.''
Né en 1904 dans la province de Quang Nam (centre), Giang a grandi dans un
milieu pauvre. Engagé à 29 ans dans l'armée du colonisateur français, il
rejoint le Viet Minh en 1945. Dix ans plus tard, après la partition du pays
en 1954, il s'installe dans le Nord-Vietnam et travaille à Hanoï comme
employé dans une brasserie d'Etat. Il prendra sa retraite en 1965.
En 1978, trois ans près la fin de la guerre, il entame une nouvelle
carrière lorsque les autorités de la capitale lui offrent un cyclo-pousse
pour lui permettre d'élever trois orphelins. De livreur de bières, il
passera bientôt au transport de passagers. Un métier qu'il exerce toujours
à raison de dix heures par jour, avec à la clé 500.000 dongs par mois
(230FF/35 euros), soit plus que le revenu mensuel moyen de ses compatriotes
(420.000 dongs).
Associated Press, le 13 Juillet 1999.
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