"Les Coupeurs de bois" : la loi de la jungle, la vraie
Film vietnamien de Vuong Duc. Avec Quoc Tri, Le Vu Long, Vu Dinh Than, Ngoc
Bich (1 h 25).
D'abord, on est content. Simplement parce qu'il est rare de voir un film
vietnamien atteindre nos écrans. Ensuite, on ne comprend rien, et on est encore
plus content. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de type qui tue des chiens
pour les servir aux clients de sa gargote ? Qu'est-ce que ce mélange d'élégance
des images et de trivialité brutale des comportements et des paroles ? Tandis
que l'on s'interroge, les villageois furieux de voir leurs clébards transformés en
kebab réduisent en cendres la paillote du tenancier cynocide.
Ruiné, Buong, le patron mal embouché, met sur pied un nouveau plan de
carrière : être bûcheron dans la jungle, exaltante perspective pour laquelle il
enrôle toute sa famille, ainsi que Ngoc, jeune diplômé sans travail. Le film se
met alors à ressembler au monde luxuriant et mortellement dangereux dans
lequel il se déroule. Des histoires commencent à proliférer dans tous les sens
comme végétation après la mousson. Une histoire de travail et d'aventure :
l'établissement de cet équipage en pleine cambrousse, coupant des arbres
pour un exploitant brutal et avare ; une histoire d'amour entre l'étudiant et la fille
du patron ; la rivalité violente entre le jeune homme et son aîné. Et encore : un
conte moral, une fable politique, une parabole écologiste, un polar, une élégie
nostalgique d'une époque où le monde était encore plus dur, mais ses règles
plus claires.
Présence intense. Le film construit une véritable réflexion sur nature et culture ;
il montre les similitudes entre les lois de la véritable jungle et cette loi de la
jungle qu'est l'univers du profit. Les Coupeurs de bois réussit le prodige non
seulement de mener de front tous ces types de récits, mais de les relier entre
eux, emportant dans un même élan considérations théoriques, sentimentales
ou romanesques. Outre un choix très sûr dans la composition de ses plans,
outre une interprétation qui aide à dessiner chacun, le réalisateur Vuong Duc
dispose d'une arme secrète : la vigueur, on pourrait dire la brutalité, avec
laquelle il filme.
Hommes et arbres, romances et conflits, corps et paroles prennent devant sa
caméra une verdeur, une présence intense et troublante, qui rendent la vision du
film parfois difficile lors des scènes paroxystiques. Mais impossible de
reprocher au réalisateur une quelconque malhonnêteté dans sa manière de
montrer ces scènes, tant leur virulence prend place au coeur des enjeux du film.
Ceux-ci sont aussi, forcément, cinématographiques, lorsqu'il faut s'interroger sur
la puissance de séduction que dégage le personnage « bestial » face au
manque de force du gentil représentant de la morale. Ce trouble-là, distillé sans
être jamais résolu, augmente la force et l'intérêt d'un film brûlant et sombre, qui
éveille de longs et complexes échos.
Par JMF - Le Monde - le 11 octobre 2000.
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