~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

[Année 1997]
[Année 1998]
[Année 1999]
[Année 2000]
[Année 2001]

"Les Coupeurs de bois" : la loi de la jungle, la vraie


Film vietnamien de Vuong Duc. Avec Quoc Tri, Le Vu Long, Vu Dinh Than, Ngoc Bich (1 h 25). D'abord, on est content. Simplement parce qu'il est rare de voir un film vietnamien atteindre nos écrans. Ensuite, on ne comprend rien, et on est encore plus content. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de type qui tue des chiens pour les servir aux clients de sa gargote ? Qu'est-ce que ce mélange d'élégance des images et de trivialité brutale des comportements et des paroles ? Tandis que l'on s'interroge, les villageois furieux de voir leurs clébards transformés en kebab réduisent en cendres la paillote du tenancier cynocide.

Ruiné, Buong, le patron mal embouché, met sur pied un nouveau plan de carrière : être bûcheron dans la jungle, exaltante perspective pour laquelle il enrôle toute sa famille, ainsi que Ngoc, jeune diplômé sans travail. Le film se met alors à ressembler au monde luxuriant et mortellement dangereux dans lequel il se déroule. Des histoires commencent à proliférer dans tous les sens comme végétation après la mousson. Une histoire de travail et d'aventure : l'établissement de cet équipage en pleine cambrousse, coupant des arbres pour un exploitant brutal et avare ; une histoire d'amour entre l'étudiant et la fille du patron ; la rivalité violente entre le jeune homme et son aîné. Et encore : un conte moral, une fable politique, une parabole écologiste, un polar, une élégie nostalgique d'une époque où le monde était encore plus dur, mais ses règles plus claires.

Présence intense. Le film construit une véritable réflexion sur nature et culture ; il montre les similitudes entre les lois de la véritable jungle et cette loi de la jungle qu'est l'univers du profit. Les Coupeurs de bois réussit le prodige non seulement de mener de front tous ces types de récits, mais de les relier entre eux, emportant dans un même élan considérations théoriques, sentimentales ou romanesques. Outre un choix très sûr dans la composition de ses plans, outre une interprétation qui aide à dessiner chacun, le réalisateur Vuong Duc dispose d'une arme secrète : la vigueur, on pourrait dire la brutalité, avec laquelle il filme.

Hommes et arbres, romances et conflits, corps et paroles prennent devant sa caméra une verdeur, une présence intense et troublante, qui rendent la vision du film parfois difficile lors des scènes paroxystiques. Mais impossible de reprocher au réalisateur une quelconque malhonnêteté dans sa manière de montrer ces scènes, tant leur virulence prend place au coeur des enjeux du film. Ceux-ci sont aussi, forcément, cinématographiques, lorsqu'il faut s'interroger sur la puissance de séduction que dégage le personnage « bestial » face au manque de force du gentil représentant de la morale. Ce trouble-là, distillé sans être jamais résolu, augmente la force et l'intérêt d'un film brûlant et sombre, qui éveille de longs et complexes échos.

Par JMF - Le Monde - le 11 octobre 2000.


Le Viêt-nam bûche son humour

Puisque les Coupeurs de bois viennent du Viêt-nam, zone notoirement en pénurie de cinéma (une moyenne de cinq films nationaux par an), forcément on s'intéresse. Pour avoir des nouvelles du pays. Alors, comment ça va le Viêt-nam? Pas terrible, selon le réalisateur Vuong Duc, qui ne nous attache à l'histoire d'un campement de bûcherons dans les forêts du Nord que pour souligner les tourments habituels de tout pays en voie de postcommunisme: corruption, trafic divers (singes, bois de construction), pollution et surexploitation des nouveaux pauvres par les nouveaux riches.

«C'est ça, l'économie de marché!», hurle Buong, le personnage principal, après qu'une modeste tentative de libéralisme (l'ouverture d'un restaurant de village spécialisé dans la viande de chien) a entraîné l'incendie de sa gargote par des voisins excédés qu'il kidnappe leurs clébards. Ce héraut, porte-voix en forme de grande gueule, est de loin le caractère le plus attachant. Mitraillette à fausses maximes («Une vie sans connaître le goût du chien, ce n'est pas une vie», mais aussi: «Un bon coup tiré vous refait la santé»), sa méchanceté n'a d'égal que sa cupidité. Quand Buong abandonne une nombreuse famille pour, croit-il, s'enrichir dans sa combine de coupeurs de bois, il a cette formule pour son épouse éplorée: «Garde bien ta chatte, je reviens dans un an.»

Vraiment tout pour plaire, d'autant qu'en fond de sauce le grand orchestre des bons sentiments socialistes joue sa partition habituelle: un prolo-boy meets une prolo-girl. Il est mignon, elle est mignonne. Et même si le bouquet des sentiments amoureusement corrects finit par se faner, ce contrepoint édifiant agit comme un remords qui, de fait, anesthésie la vigueur d'un humour à mort pour le moins débraillé.

Par Gérard Lefort - Libération - le 11 octobre 2000.


Les coupeurs de bois

Très remarqué lors du festival des Trois Continents de Nantes l’année dernière, Les Coupeurs de bois est l’un des cinq films produits par an au Vietnam. De ce pays, on ne connaît jusqu’ici que les images de Tranh An Hung, œuvres hybrides produites par la société bretonne Lazennec, filmées sur fond de rock indé européen, assez conformes à l’image touristique que l’on s’en fait : doux, souriant, nimbé de vert et de pluie.

A côté, Les Coupeurs de bois déroute, nous rappelle que le Vietnam est un pays communiste pauvre. Il nous parle de solidarité et de travail. Pas de temps pour la contemplation métaphysique chez Vuong Duc, réalisateur terre à terre mais pédagogue subtil. La beauté de ses images vient de leur brutalité ; la lumière y est naturelle. Le rythme semble idéalement adapté aux cadences de travail. On pourrait alors craindre le pensum officiel, mais le cinéma chinois nous a déjà prouvé que c’est des marmites les mieux fermées qu’on extrait les plats les plus épicés. Les Coupeurs de bois commence ainsi par un portrait iconoclaste de Buong, tueur de chiens la nuit et restaurateur le jour. C’est parfois leur propre bête qu’il sert à manger aux villageois. Premier message assez éloigné de la ligne du Parti dans cette introduction : il faut bien manger, chacun se débrouille comme il peut. Une des villageoises particulièrement attachée à son toutou brûle la paillote du restaurateur. Personne n’aide Buong à éteindre le feu, alors que les convives avaient bien apprécié l’endroit. Deuxième message, qui courra tout le long du film : les Vietnamiens sont des communistes modernes, c’est-à-dire paradoxaux.

Buong part alors au fin fond du pays trouver du travail dans une exploitation forestière, accompagné du jeune Ngoc et de membres de sa famille. L’équipe se retrouve lâchée en pleine forêt par un patron inflexible. Le travail est dangereux. Drôle de film "communiste", décidément, qui parle de "l’Etat" propriétaire du bois, et montre surtout ses accointances avec le capitalisme. Le patron sera par la suite souvent hors champ, comme venu d’un monde que la propagande refuse de voir. Et notre ex-cuisinier de chien bouilli deviendra dès lors définitivement sympathique en doublant son employeur… pour se faire plus de "bénef’. A quand la start-up ?

Ce qui ne l’empêche pas de faire un coup tordu à son protégé, Ngoc, par pure jalousie. C’est que la fille du patron, l’adorable Quy, vient ravitailler les travailleurs. Elle renvoie ces hommes à leur solitude ; Ngoc pensant du coup à sa fiancée laissée au village. Ces flash-back surannés, et la bluette maladroite dans la forêt entre "la fille du patron et l’ouvrier" n’en restent pas moins sincères. Ils donnent surtout un coup fatal à la propagande : nos "camarades", en fait, pensent bien peu au travail. Le film aura beau esquisser une fin moraliste, il ne peut qu'inspirer la sympathie.

Par Yann Kerloc’h - Chronic'art - le 11 octobre 2000.