Le chef du PC évincé au Viêt Nam
BANGKOK - Les décisions au sein de la direction du Parti communiste vietnamien
sont habituellement prises dans la plus grande discrétion, de
manière à présenter au monde extérieur une façade consensuelle.
Mais la lutte de pouvoir qui a précédé le IXe Congrès du PC
vietnamien, qui se déroule jusqu'à dimanche à Hanoi, a été si furieuse
qu'elle a transpiré hors des murs de la salle des congrès Ba Dinh, où
se tiennent les débats à huis clos. Ce bras de fer a abouti à une défaite
amère pour l'actuel secrétaire général du Parti, Le Kha Phieu. Malgré
ses efforts pour s'accrocher à son siège, cet ancien commissaire
politique de l'armée, âgé de 70 ans, doit être limogé dimanche.
Sa disgrâce sera complète: il ne figurera même pas au sein du
nouveau Comité central du Parti, qui comprend 150 membres. Phieu,
généralement considéré comme le chef de file des conservateurs, va
être remplacé par le président de l'Assemblée nationale, Nong Duc
Manh, dont les rumeurs assurent qu'il est le fils naturel d'Ho Chi Minh,
le fondateur du PC vietnamien. Membre de la minorité ethnique tai
des montagnes du Nord, il sera le premier chef du Parti n'appartenant
pas à l'ethnie dominante viêt.
«Incapacité» . Jamais dans l'histoire du Viêt-nam communiste un
dirigeant n'a été aussi ouvertement critiqué que le général Le Kha
Phieu, devenu chef du Parti en 1997. «Le pire chef que le Viêt-nam
a connu», a glissé un officiel à l'AFP. En octobre, trois anciens
dirigeants qui jouent le rôle de conseillers du Parti - Do Muoi, Vo
Van Kiet et Le Duc Anh - avaient publié une lettre évoquant son
«incapacité dans la direction du Parti et de l'Etat». Lors d'une
conférence de presse vendredi, Do Muoi, lui-même ancien secrétaire
général du PC, a déclaré que si Le Kha Phieu avait «apporté une
grande contribution au Parti, il avait aussi commis des erreurs».
Le mandat du général Phieu a été marqué par une série de dérapages.
L'idéologue militaire avait géré de façon désastreuse la visite du
président américain Bill Clinton en novembre. Pris de court par
l'accueil enthousiaste de la population, Le Kha Phieu s'était cru obligé
de raviver lors d'un discours les vieux fantômes de l'«impérialisme».
Le leader du Parti n'avait pas vu venir la révolte des montagnards
dans les hauts plateaux du centre en février, bien que les troubles aient
couvé depuis l'été.
D'autres accusations sont lancées pêle-mêle contre cet homme terne
qui n'avait jamais su imposer son autorité à la «machine du Parti».
Pour certains, il est coupable d'avoir utilisé ses réseaux militaires pour
faire espionner ses camarades du Politburo, l'organe directeur du
Parti. Mais l'une des raisons essentielles semble avoir été sa trop
grande proximité avec Pékin. Le général était considéré comme trop
conciliant avec les Chinois, ennemis ancestraux, en ce qui concerne
les conflits frontaliers, notamment dans l'archipel des Spratly
revendiqué par Hanoi et par Pékin.
Fils illégitime.
Nong Duc Manh est le candidat de compromis, celui
qui semble acceptable aux multiples factions politiques et
géographiques qui rivalisent au sein de l'appareil du Parti. Ingénieur
des eaux et forêts formé en Union soviétique, ce sexagénaire passe
pour un homme modéré mais sans poigne, toujours à la recherche du
consensus. Il n'a jamais nié les rumeurs persistantes, affirmant qu'il est
le fils illégitime du «leader révolutionnaire». Interrogé récemment sur
ce point, il a rétorqué: «Tous les Vietnamiens sont les enfants d'Ho
Chi Minh.»
Nong Duc Manh, originaire de la province de Bac Canh, au nord, a
dirigé le «comité des minorités ethniques» du Comité central, puis un
comité similaire au sein du Parlement. Il est donc parfaitement au fait
de la politique gouvernementale envers les minorités, mais Do Muoi,
l'ancien chef du PC, dément que le choix de Nong Duc Manh soit lié
aux troubles qui ont secoué les hauts plateaux en février. En outre, ce
changement à la tête du Parti ne devrait guère modifier la politique de
prudente ouverture économique qui prévaut depuis le Congrès de
1996.
Par Arnaud Dubus - Libération, le 21 Avril 2001.
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