Nong Duc Manh, un "numéro un" de compromis à la tête du Parti communiste vietnamien
Des débats sans précédent ont eu lieu au cours des derniers mois au
sein de la direction vietnamienne pour la désignation d'un nouveau
secrétaire général ("numéro un") du Parti communiste. C'est
finalement un modéré, Nong Duc Manh, 61 ans, qui a été élu à la tête
d'un comité central rajeuni et composé d'un nombre accru de
membres originaires du Sud, principal pôle de développement
économique du pays.
HANOI - A l'issue d'une empoignade sans précédent, le Parti communiste
vietnamien s'est doté, mardi 17 avril, d'un nouveau leader, Nong Duc
Manh, un homme affable, qui passe pour un modéré et présente la
particularité d'appartenir à une minorité ethnique du Nord. A la veille de
son IXe congrès quinquennal, qui s'ouvre jeudi à Hanoï, le PC vietnamien
a également élu les cent cinquante membres d'un nouveau comité central
rajeuni, dans lequel on compte davantage de Vietnamiens du Sud,
principal pôle de développement économique du pays.
Pendant des mois, des dizaines de pétitions ont circulé dans les rangs du
PC, donnant l'impression de feux croisés qui, au-delà des programmes,
s'en prenaient nommément aux hommes, ce qui constitue une première.
Le feu a été ouvert, fin octobre 2000, par la troïka qui a dirigé le Vietnam
de 1991 à 1997. Vo Van Kiêt, le général Lê Duc Anh et Dô Muoi, à
l'époque respectivement premier ministre, chef de l'Etat et secrétaire
général du PC, ont accusé le général Lê Kha Phiêu, successeur de Dô
Muoi à la tête du parti en décembre 1997, de "manque de capacité dans
la direction du parti et de l'Etat". Jamais un assaut frontal n'avait été
mené de la sorte par d'anciens dirigeants du parti qui, en tant que
conseillers du comité central, participent aux réunions du bureau
politique.
Au fil des plénums du comité central, le général Lê Kha Phiêu, ancien
chef du département politique de l'armée, s'est défendu comme un beau
diable. Mais l'assaut l'a considérablement affaibli. Selon une bonne
source, on lui a tour à tour reproché de favoriser son entourage, de ne
pas tenir l'armée, de ne pas réussir à brider la corruption et d'avoir créé
ou fait revivre "A-10", un service secret parallèle, sans en avoir déféré à
l'Assemblée nationale. Le général Phiêu a fini par prendre acte de sa
disgrâce.
Au prix d'un report de quelques semaines du congrès, un compromis de
dernière minute a pu être trouvé. Déjà candidat au secrétariat général en
1996, Nguyên Van An, président de l'influent comité d'organisation du
comité central, semblait bien placé pour l'emporter. Mais il ne s'est pas
fait que des amis lors d'un mandat comme secrétaire du PC de la
province de Nam-Dinh, dont il est originaire. Même si Nguyên Van An
promet d'être un membre influent du bureau politique, c'est néanmoins
Nong Duc Manh, actuel président de l'Assemblée nationale et
relativement jeune (soixante et un ans), qui a bénéficié du plus large
consensus. Trân Duc Luong devrait être reconduit dans ses fonctions de
chef de l'Etat et Phan Van Khai dans celles de premier ministre lors de la
prochaine session de l'Assemblée nationale.
Perte de prestige
Ces trois hommes auront pour première mission de panser les plaies au
sein d'un PC affaibli par des querelles assez vives pour avoir transpiré à
l'extérieur. Pour sa part, l'armée semble privée de leadership et pourrait
perdre de son influence. Les jeunes ont manifesté davantage leur
ras-le-bol face aux freins portés aux réformes amorcées en 1986.
Vingt-six ans après la victoire de 1975, le PC vietnamien se retrouve
dans une situation paradoxale. Au prix d'une perte de prestige de la
direction du parti, les "anciens" ont peut-être ouvert les portes à une
contestation interne plutôt favorable à l'accélération des réformes. D'un
autre côté, leur influence demeure évidente, notamment celle de Vo Van
Kiêt, âgé de soixante-dix-neuf ans, et qui s'était taillé une réputation de
réformateur lorsqu'il avait dirigé le gouvernement.
L'économie du Vietnam ne se porte pas trop mal et la ratification d'un
accord commercial avec les Etats-Unis, susceptible de donner un coup
de fouet aux exportations, demeure probable vers la fin de l'année. Mais
le vrai problème du pays reste le décalage entre ses résultats actuels -
un taux de croissance de 5 % à 7 % - et un potentiel de ressources
humaines jugé exceptionnel. Réduire ce fossé sera le véritable test de sa
nouvelle direction si elle parvient, au préalable, à calmer le jeu et à
établir son autorité.
Par Jean Claude Pomonti - Le Monde, le 15 Janvier 2001.
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