Les Chinois et les Vietnamiens de France fêtent l'entrée dans l'année du Cheval
A la pagode Khanh Anh, à Bagneux, dans la banlieue parisienne, plusieurs centaines de fidèles ont participé à la cérémonie inaugurant le Têt, la fête du printemps
C'est parti pour cinq jours de réjouissances, de visites aux familles, d'échanges de vœux
L'avenue Henri-Barbusse de Bagneux (Hauts-de-Seine), dans la banlieue sud de Paris, bruit d'une
agitation inhabituelle. Dans cette nuit du lundi 11 au mardi 12 février, l'air est saturé d'effluves
d'encens et les chants préenregistrés d'un haut parleur couvrent les voix des fidèles. Dans la
grande salle de prières de la pagode Khanh Anh, qui s'ouvre sur la rue, la cérémonie du passage de
l'ancienne à la nouvelle année, inaugurant le "Têt", la fête du printemps, va commencer dans
quelques minutes.
Plusieurs centaines de Vietnamiens se sont déplacés avec leurs grands-mères et les petits derniers
jusqu'à ce bastion du bouddhisme sud-vietnamien, farouchement anticommuniste, et fort bien
déguisé en pavillon de banlieue sans charme, pour célébrer la fête la plus importante de la
communauté. Certains tentent, en jouant des coudes, de se frayer un passage à l'intérieur. Les
mieux placés, près de l'autel central, sont arrivés dès 21 heures pour être sûrs de trouver un coin
de moquette où s'accroupir.
L'atmosphère n'a rien de guindé, malgré la présence des bouddhas dorés, encadrés de fruits frais
et de gerbes de forsythias. Certains patientent en échangeant les dernières nouvelles avec leur
voisin : succès scolaires des enfants, soucis de carrière des adultes. D'autres brûlent des bâtons
d'encens en l'honneur d'un parent défunt dont la photo tapisse, avec des dizaines d'autres, une
partie du côté droit de la salle. Les jeunes sont restés à l'étage en dessous. Les filles en Ao Dai, la
tunique longue et ajustée des Vietnamiennes, se sont postées à l'entrée, du côté des cuisines du
pavillon, et proposent à tous les visiteurs des roses à 2 euros pièce. Les garçons, à l'autre bout du
couloir, vendent aux fidèles qui sortent de la salle des prières des billets de tombola. "C'est pour
financer le projet de la pagode d'Evry, que nous avons commencée en 1995 et qui nous coûte si
cher", explique Trinh Theo, un des bénévoles laïcs du lieu. Lancé par la congrégation de Bagneux,
le projet de "très grande pagode" devrait coûter au total 7,6 millions
d'euros à la communauté, qui ne peut compter que sur l'argent des
fidèles.
Branches de pêcher et de rose
Dans la pièce commune, le menu est exclusivement végétarien, comme dans toutes les pagodes
sino-vietnamiennes. Les Banh Chung roboratifs, gâteaux de riz gluant et de haricots, obligatoires pour le Têt,
disputent la vedette aux Chè, des desserts sucrés de tapioca et de lait de coco, aux salades de fromage de
soja avec herbes fraîches ou en bouillon, aux pâtés de pâte de riz diversement fourrés, relevés à l'huile de
sésame et à la coriandre fraîche... Autant de délices que la communauté – dix bonzes et bonzesses sous
l'autorité du "grand vénérable" Thich Minh Tam - confectionnent depuis une semaine.
Ce soir, les Vietnamiens de Paris se sont surtout déplacés pour recevoir les vœux de bonne année du grand
vénérable. Celui-ci n'apparaît dans la grande salle de prières qu'à 23 h 50. L'assistance scande des soutras
pendant une bonne demi-heure. Les fidèles écoutent ensuite ses vœux de bonheur, puis chacun reçoit une
petite enveloppe rouge traditionnelle, avec 20 centimes d'euros à l'intérieur. "Nous ne ferons hélas pas
partir de pétards, cela pourrait déranger les voisins", regrette le grand vénérable. Les douze coups de
minuit passent donc en silence, entre deux récitations évoquant la prospérité et la longévité. "Il est très
important pour un Vietnamien d'entrer dans la nouvelle année pendant un moment de recueillement,
dans un endroit paisible. Cela augure d'une année clémente et c'est pour cela que nous passons ces
instants ensemble avec les bonzes", note M. Trinh Theo.
La pagode reste un lieu essentiel de la sociabilité des Vietnamiens de France, et particulièrement pendant le
Têt, même si la fête a surtout une signification païenne, celle de la fin de l'hiver. "Les Vietnamiens sont bien
intégrés et assez individualistes, précise Trinh Van Thao, sociologue au CNRS. Ils ont peu d'amicales, de
clubs en dehors de la pagode. Ainsi, quand vient la fête, c'est dans son enceinte qu'ils se retrouvent. Au
contraire des Chinois, qui continuent à vivre près les uns des autres, et qui expriment leur joie du nouvel an
dans les rues des quartiers asiatiques de la capitale."
Chuc mung nam moi (bonne année) ! Il est 1 heure du matin et les visiteurs se quittent sur d'ultimes vœux,
chacun avec sa branche de pêcher en fleur ou sa rose à la main, symboles du printemps retrouvé. C'est parti
pour cinq jours de réjouissances, de visites aux familles et aux voisins, avec à nouveau des échanges de vœux
et des distributions de petites enveloppes rouges aux enfants, sans oublier le grand repas de famille de ce
week-end qui clôturera les célébrations.
Par Cécile Ducourtieux - Le Monde, le 12 Février 2002.
Le premier jour du premier mois du calendrier lunaire
Têt. Appelé "Têt" par les Vietnamiens, "Fête du printemps" par les Chinois, le Nouvel An symbolise la fin de
l'hiver. Il tombe cette année le 12 février et correspond au premier jour du premier mois du calendrier lunaire.
Il marque la fin de l'année du Serpent et l'entrée dans l'année du Cheval, propice au développement des
affaires, selon l'horoscope chinois.
500 000 Chinois et Vietnamiens vivraient en France.
Nombre d'entre eux ont leurs habitudes dans les pagodes bouddhiques, qui sont plusieurs dizaines dans
l'Hexagone. La pagode Khanh Anh de Bagneux (Hauts-de-Seine) est, avec Truc Lam, à Villebon-sur-Yvette
(réputée pour être restée plus proche du régime communiste vietnamien), l'une des deux principales.
Rites. Au Vietnam et en Chine, la semaine du Nouvel An est chômée. Au Vietnam, la plupart des citadins
rentrent au village pour se recueillir devant l'autel de leurs ancêtres.
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