L'histoire chaotique d'une ville harmonieuse enfin racontée
BANGKOK - A n'en pas douter, malgré son surpeuplement et son million de motos,
Hanoï est l'une des cités les plus harmonieuses d'Asie du Sud-Est avec
ses grandes avenues ombragées, ses lacs, son vieux quartier
commerçant coloré. Un mariage d'époques contrastées se serait donc
réalisé après plus d'un millénaire, offrant à la capitale du Vietnam un
caractère intemporel. L'éternel aurait ainsi vaincu l'éphémère.
Rien n'est moins vrai, rapporte Philippe Papin dans son Histoire de Hanoï,
première somme d'érudition sur une ville qui s'est faite ou défaite, tour à
tour incendiée, presque rasée, mandarinale ou commerçante, liée à son
environnement rural ou s'en détachant, capitale triomphante ou déchue
d'un Vietnam longtemps en gestation. Tant de fois remis en cause, le
destin de Hanoï n'a jamais été certitude mais plutôt produit d'un combat
repris sans cesse.
A l'origine, c'est une affaire de légendes, dont l'une en fait le site de
l'affrontement entre les divinités du sol et les génies des eaux. Au-delà
des mythes, l'histoire de Hanoï, qui a changé plusieurs fois de nom, est
liée à la lutte contre l'emprise chinoise, dont le Vietnam ne se défait, au
Xe siècle, qu'au bout de mille ans de domination et au prix de la
reconnaissance de la suzeraineté de l'empire du Milieu : Vietnam veut
dire "pays du Sud", définition par rapport à la Chine, et Hanoï s'est
appelée, de 1010 à 1397, Thang Long, le "Dragon qui s'élève", affirmation
d'identité vietnamienne.
La capitale de l'Indochine
L'apparente harmonie actuelle ne dit rien des sacs qu'elle a subis - à trois
reprises par les Mongols, puis autant de fois par les armées du Champa,
royaume méridional que les Vietnamiens assimileront lors de leur "marche
vers le sud" - ou des luttes internes qui l'ont détruite. Hanoï a même
perdu son statut de capitale au tout début du XIXe siècle avec
l'émergence d'une nouvelle dynastie, celle des Nguyên, installée à Hué,
et que l'alliance du sabre au goupillon français finira par soumettre. En
1902 toutefois, les Français en font la capitale de leur Indochine et lui en
donnent les attributs.
De cette époque datent les larges avenues de type haussmannien et des
constructions qui lui donnent à la fois un air de Second Empire (l'opéra),
de province française (les villas entourées de leurs petits jardins) et de
cité au style néo-colonial qui, à la veille de la seconde guerre mondiale,
n'abritait jamais que quatre mille "métropolitains".
Mais, en dépit de durs bombardements américains et d'un afflux de
population, l'ensemble a été préservé et entretenu à la fois par goût et
faute de pression économique. Hanoï a trouvé, dans les années 1990,
des couleurs, et le vieux centre commerçant aux habitations en tube y
jouxte presque un quartier résidentiel où s'alignent des propriétés
redevenues coquettes. La "promenade" de l'auteur dans le Hanoï du
début du XXIe siècle en dit beaucoup plus sur la complexité de cette cité
retrouvée. Même s'il en occulte un peu le foisonnement artistique et
littéraire ou la montée du capitalisme rouge, Philippe Papin n'en offre pas
moins un portrait fourmillant d'anecdotes historiques d'une ville qui
méritait d'être racontée.
Histoire de Hanoï, de Philippe Papin. Fayard, 404 p., 150 F
(22,76 Euro).
Par Jean-Claude Pomonti - Le Monde - le 19 Août 2001.
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