La censure au Vietnam, une affaire de plus en plus mafieuse
Deux journalistes vietnamiens ont été victimes ces derniers jours d'agressions physiques, manifestations inquiétantes d'une pression qui, déjà forte de la part du pouvoir politique, s'accroît désormais du côté des réseaux mafieux.
Le 21 avril, deux adolescents ont incendié la voiture de Hoang Thien Nga, correspondante du quotidien Tien Phong dans la province de Dak Lac (centre).
Nga avait écrit plusieurs papiers sur un avocat accusé d'entretenir des liens avec la mafia et de hauts responsables politiques locaux. Les autorités ont indiqué qu'elles recherchaient les commanditaires de l'agression.
Le jour précédent, c'est un journaliste du Nong Nghiep qui avait été attaqué à Ho Chi Minh-Ville (sud), après avoir pris des photos de prostituées et de leurs clients. La police a affirmé qu'il était ivre au moment des faits.
La semaine passée, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a classé le Vietnam comme l'un des dix pires pays de la planète pour exercer le métier.
Le CPJ ainsi que Reporters sans frontières (RSF) ont aussi condamné la répression qui s'abat sur les dissidents, notamment des journalistes, qui utilisent l'internet pour communiquer leurs opinions.
Mais ce phénomène de pression physique est plus inquiétant encore.
"Ces attaques vont certainement faire passer le message aux journalistes du Vietnam qu'ils feraient mieux de réflechir à deux fois avant de travailler sur la criminalité et la corruption", estime Sophie Beach, spécialiste de l'Asie au CPJ.
"Ils pourraient s'auto-censurer s'ils savent qu'un papier peut les conduire à l'hôpital", ajoute-t-elle.
Pour Vincent Brossel, responsable de la section Asie- Pacifique de RSF à Paris, des attaques similaires avaient été constatées en Chine il y a quelques années.
Dans les deux cas, "l'Etat n'a plus le monopole de la violence contre les journalistes. Les reporters doivent aussi tenir compte des représailles de la mafia et du crime organisé", dit-il.
"Nous ne savons pas jusqu'où cela ira, mais cela témoigne en même temps d'une évolution des média au Vietnam, qui publient plus d'articles d'investigation".
Le Parti communiste vietnamien (PCV), bien qu'il s'en défende, contrôle étroitement la presse, qui a pour fonction officielle de "maintenir l'unité nationale" et contribuer au développement du pays.
Les journaux restaient traditionnellement silencieux sur ce genre de sujet, jusqu'à l'apparition du cas Nam Cam, le plus puissant "parrain" de l'histoire du pays, arrêté en décembre 2001 et jugé depuis février dernier dans l'ex-Saïgon avec 154 co-accusés, dont de très hauts responsables du PCV.
Le dossier a été largement traité par la presse vietnamienne, une latitude attribuée moins à une réelle liberté de ton qu'à la volonté du gouvernement de témoigner de sa détermination face à la corruption.
"Quand de hauts responsables ont été mouillés, le bureau de la propagande a rapidement demandé aux journalistes de s'en tenir à la ligne du Parti", rappelle Sophie Beach.
Un journaliste vietnamien qui a requis l'anonymat explique qu'il peut écrire sur des dossiers mineurs. Mais sur les grosses affaires, il lui faut attendre "le feu vert du gouvernement ou en rester à la version de la police".
Reste à savoir la réaction des autorités face à cette violence.
"S'il y a de nouvelles attaques, le gouvernement devra faire quelque chose. Mais en même temps, cette menace est un bon moyen de dissuader les journalistes", estime Vincent Brossel.
Par Ben Rowse - Agence France Presse - 6 Mai 2003.
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