Retour symbolique au Vietnam d'un hiérarque de l'ex-régime anticommuniste
Le Vietnam fera un geste hautement symbolique en direction de la communauté vietnamienne expatriée, en accueillant cette semaine l'ancien vice-président du Sud-Vietnam, un anticommuniste pur et dur jadis persona non grata et aujourd'hui autorisé à célébrer chez lui le Nouvel an lunaire.
Le Têt, la fête la plus importante au Vietnam lors de laquelle la cellule familiale retrouve son rôle sacré et se rassemble dans des effusions bon enfant, va permettre à Nguyen Cao Ky, une personnalité historique du régime pro-américain, de retrouver sa patrie.
Aujourd'hui âgé de 72 ans, ce militaire de formation arrivera mercredi en avion à Ho Chi Minh-Ville, l'ex-Saïgon, cité qu'il avait précipitamment quittée le 29 avril 1975, juste avant qu'elle ne tombe entre les mains des forces communistes du Nord-Vietnam.
Au-delà du sanglant affrontement américano-vietnamien, la guerre du Vietnam fut aussi civile, divisant un pays, des amis, des familles. Un passé que beaucoup veulent aujourd'hui laisser derrière eux.
"La guerre s'est achevée il y a trente ans, mais elle divise encore nos deux camps. Je veux mettre de côté la haine du passé pour que nous puissions nous asseoir ensemble", indiquait Ky cette semaine sur une radio américaine.
Le régime de Hanoï est tout aussi bien disposé, lorsqu'il assimile le retour de Ky à celui de centaines de milliers d'autres Vietnamiens d'outre-mer (Viet Kieu, une communauté estimée à quelque 2,7 millions de personnes), dont beaucoup ont fui le régime communiste après 1975, et qui reviennent chaque année partager un repas de fête et se recueillir devant l'autel des ancêtres.
"L'Etat du Vietnam considère la communauté Viet Kieu comme partie intégrante de la Nation", lance le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Le Dung. "Dans cet esprit (...), nous respectons et nous nous réjouissons de la décision de M. Nguyen Cao Ky de revenir chez lui après des années à l'étranger".
Ky n'est pourtant pas un Viet Kieu ordinaire.
Militaire formé en France, il était revenu au Vietnam en 1954, après le départ des Français. Il avait participé au coup d'Etat contre le chef de l'Etat du Sud-Vietnam, Ngo Dinh Diem, en 1963 avant de prendre la direction de l'armée de l'air sud-vietnamienne.
Il était devenu Premier ministre du régime du sud en 1965, puis vice-président en 1967. Après la victoire du Nord, il avait opté pour l'exil en Californie.
Le 21 janvier, il fêtera enfin à nouveau l'arrivée de l'année du Singe parmi les siens.
Pour Carl Thayer, un expert de l'Australian Defence Force Academy, son accueil par Hanoï vise à affaiblir les sentiments anticommunistes qui animent encore une bonne partie de la diaspora.
"Séduire les Viet Kieu permet de saper leur rôle en tant que groupe de pression sur les droits de l'homme aux Etats-Unis", estime-t-il. "Le retour de Ky est susceptible de provoquer d'autres retours et d'éroder le front anti-Hanoï".
Ky, qui se rendra aussi dans sa ville natale de Son Tay, à 40 kilomètres au nord-ouest de la capitale, n'ignore pas les grincements de dents que son voyage a provoqués au sein de la communauté Viet Kieu.
Mais le septuagénaire affirme s'adresser avant tout à un pays dont plus de la moitié de la population n'a pas connu la guerre.
"Tout le monde nous trouve ridicule en nous entendant encore nous disputer et nous dire +tu es républicain+ et + tu es communiste+. La jeune génération ne porte pas la même haine, et c'est elle qui sert le pays".
Par Ben Rowse - Agence France Presse - 11 Janvier 2004.
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