Caducées et casques coloniaux. Médecine et colonisation, de
Laurence Monnais-Rousselot
La médecine coloniale et l'Indochine véhiculent des images fortes, des images d'Epinal, vestiges doux-amers d'une
époque révolue. Loin des clichés du médecin coiffé du casque colonial, sans céder aux fantasmes indochinois d'un Jean
Hougron ou d'un Lucien Bodard, Laurence Monnais-Rousselot restitue avec brio l'action médicale et sanitaire de la France en
Indochine. Cette thèse de doctorat, publiée par le C.N.R.S. insiste sur le synchronisme entre le fait colonial, l'émergence des
politiques hygiénistes et les progrès fulgurants de la médecine occidentale de la fin du XIXe siècle.
Située à la confluence de l'histoire coloniale, de l'histoire militaire et de l'histoire de la médecine, l'étude montre non seulement
l'impact du volet médico-social de la colonisation sur le processus de mise en dépendance de l'Indochine, mais aussi l'influence
des pathologies et particularités indochinoises sur la médecine coloniale occidentale. L'originalité de l'ouvrage réside dans la
démarche et l'ambition avouées de l'historienne: il s'agit bel et bien d'une monographie indochinoise, véritable histoire d'une
adaptation de la médecine française à une Indochine faite de diversités géographiques et ethniques, foyer d'endémies et
d'épidémies multiformes et effrayantes.
L'auteur observe parfaitement la question des relations entre colonisateurs et colonisés, médecins et patients grâce à la rigueur
méthodologique mise au service d'une démonstration magistrale. Ce résultat s'appuie sur une exploitation méthodique d'un
corpus de sources souvent parcellaires et disséminés entre Archives Nationales vietnamiennes, archives des services historiques
des armées, archives du centre des archives d'outre-mer, archives privées et archives de l'institut Pasteur. Le dépouillement des
périodiques coloniaux et médicaux ajoute à l'impression d'exigence et d'exploration systématique des pistes de recherches.
La clarté de l'ouvrage, malgré l'épaisseur du sujet et le vocabulaire scientifique, ne se dément jamais. L'index, le lexique
médical, l'appareil critique se mettent au service d'une démonstration étayée par un plan rigoureux. La chronologie
médico-coloniale offre une vue d'ensemble de l'objet d'étude avant la présentation de l'évolution de la politique médicale
élaborée en métropole, le portrait des auteurs de la médicalisation et le tableau des réalités sanitaires indochinoises. Aucune
carte, aucun chiffre, aucun graphique n'est gratuit. Chaque point de la démonstration est à sa place et permet à Laurence
Monnais-Rousselot d'affirmer que loin d'être une "colonisation médicale" exportée, l'action médicale de la France, grâce à ses
adaptations et l'"indigènisation" du personnel, peut-être assimilée à une "médicalisation coloniale". On retient de cette thèse
l'exemple d'une démarche historique rigoureuse et modeste qui appelle à d'autres travaux de cette tenue.
De Philippe Alix, le 6 Octobre 1999.
Laurence Monnais-Rousselot, Médecine et colonisation, l'aventure indochinoise, 1860-1939 Paris, C.N.R.S. éditions, 1999, 489 p.