Ici, personne ne viendra m'embêter
Ce n'est pas du tout ce qu'il avait prévu. Lorsque Bung, 20 ans, quitte son Vietnam natal et arrive à Paris, il est plein de joie et d'impatience. « Dans mon pays, on disait que la France était riche, son quotidien bon marché...
Je comptais suivre des cours de français à la Sorbonne pour compléter ma formation de gestion économique suivie au Vietnam », raconte le jeune homme, agrippé à son sac de couchage pour se protéger du froid. Deux ans plus tard, il dort sur une des maigres pelouses qui bordent le périphérique, au niveau de la porte d'Orléans, dans le XIV e arrondissement. D'un air rêveur et détaché, il raconte comment sa vie a basculé. « Ma famille a rapidement cessé de m'envoyer de l'argent, croyant que je me débrouillerais sans difficultés. J'ai donc dû gagner ma vie en faisant du baby-sitting pour payer le loyer de mon studio, situé à Montrouge.
»
Il sèche de plus en plus ses cours. Le peu d'amis qu'il avait, il ne les voit plus. Et puis, il y a quelques semaines, son bail prend fin et il se retrouve dehors. Sans un sou pour le renouveler. Où aller ? « Ici, je suis près de la famille qui m'emploie. Et puis, personne ne viendra m'embêter. » Même pas cet homme qui fait ses besoins dans les buissons et qui s'est installé une tente couleur kaki à dix mètres de lui. « On ne se parle pas et c'est très bien comme ça. » Chacun son territoire.
Repartir au Vietnam et « tout oublier » Bung n'est là que depuis quelques semaines et il est encore propre. « Je vais me laver dans les bains publics du quartier. » Ensuite, il va à la bibliothèque Beaubourg ou dans celle du XIII e arrondissement. Il s'y réchauffe en lisant les journaux ou des romans vietnamiens. L'après-midi, il s'occupe des enfants dont il a la charge.
« Leurs parents ne savent pas que je suis à la rue. » Les siens non plus. « Ils auraient honte de moi », dit-il, avec gêne, en évitant le regard de son interlocuteur comme pour ne pas voir son propre reflet. Son but est simple : gagner assez d'argent pour se payer un aller simple au Vietnam. Et revenir des bobards pleins la bouche mais la mémoire vide. « Je ne dirai jamais à personne ce qu'il s'est passé. Je veux tout oublier. »
Le Parisien - 21 Novembre 2004.
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