~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Les boat people s'agrippent au Viêt Nam

HO CHI MINH VILLE - Nous avons eu droit à tout: les attaques de pirates, la tempête, puis le manque d'eau. A la fin, il nous a fallu boire de l'eau de mer.» Dans son confortable bureau décoré de peintures d'artistes contemporains vietnamiens, Nguyen Thang, 45 ans, se rappelle, non sans nostalgie, son échappée du Viêt-nam communiste il y a vingt-deux ans. A sa treizième tentative de départ, Nguyen Thang, alors âgé de 23 ans, avait réussi à atteindre la Malaisie sur une embarcation de fortune chargée d'une quarantaine de personnes, après avoir été, en premier lieu, refoulé par les gardes-côtes singapouriens. Mais à écouter ce solide Vietnamien, un sourire accroché en permanence aux lèvres, se remémorer son expérience de boat people, on sent bien que l'épisode appartient à un passé déjà mythique, à une sorte de vie antérieure. Aujourd'hui, Nguyen Thang, directeur de la société Dong Nam, domine le marché des téléphones portables au Viêt-nam. Il passe ses week-ends à jouer au golf avec le président du comité populaire d'Ho Chi Minh-Ville. «Quand on veut faire des affaires au Viêt-nam, il est nécessaire d'être bien avec les autorités locales.»

Les plus coriaces. Nguyen Thang est exemplaire de la génération des Viêt-kieu (les Vietnamiens d'outre-mer) qui, après des années d'exil et dotés d'une nouvelle nationalité, ont finalement décidé de revenir au Viêt-nam. Ce sont les survivants, les plus coriaces ou les plus amoureux du pays, ceux que rien - ni les tracasseries bureaucratiques, ni les loyers astronomiques, ni l'atmosphère parfois étouffante du régime - n'a découragés. «Ce qui a été le plus difficile? Les autorités ont une idée préconçue sur les Viêt-kieu, ils pensent qu'ils ne sont pas sérieux, qu'ils viennent pour faire un détournement de fonds ou pour renverser le gouvernement», considère Nguyen Thang. Mais, comme nombre de Viêt-kieu à Ho Chi Minh-Ville, il reconnaît que l'attitude du gouvernement à leur égard a progressivement évolué dans le bon sens. «Ils comprennent que les Viêt-kieu constituent une force qui peut pousser l'économie à se développer plus, non seulement en termes économiques mais aussi en termes de cerveaux», constate Nguyen Dan Tieng, de la firme informatique Diginet, lui aussi ancien boat people.

Certains admettent d'ailleurs qu'ils sont eux-mêmes en grande partie responsables des premiers malentendus. A la fin des années 80, une vague de Vietnamiens d'outre-mer opportunistes a déferlé sur le pays; ils étaient persuadés de pouvoir tirer un bénéfice rapide de leur savoir-faire et de leurs fonds dans un pays commençant à peine à s'ouvrir et dont ils maîtrisaient la langue. «Dans ces années-là, tout était facile. Les Viêt-kieu bénéficiaient d'un haut respect. Les gens croyaient en votre professionnalisme sur la foi de votre carte de visite», se rappelle Do Nguyen, un Vietnamien des Etats-Unis évacué en avril 1975 sur un navire de guerre américain, et aujourd'hui créatif publicitaire à Ho Chi Minh-Ville. «Vous pouviez choisir n'importe quelle fille pour vous marier, et obtenir le soutien de sa famille», renchérit Nguyen Dan Tieng. Mais quelques coups fourrés, le comportement flambeur de certains et, parfois, un mépris affiché pour l'«ignorance» des locaux ont ruiné ce crédit. Il a fallu ensuite remonter la pente, reconquérir la confiance perdue, un processus qui n'est pas encore achevé. «Nous devons réparer l'image qui a été dégradée par quelques-uns, restaurer l'honneur en apportant notre professionnalisme», reconnaît Do Nguyen.

Prise de risques. Auparavant, le statut des Viêt-kieu était doublement désavantageux: en tant qu'hommes d'affaires, ils étaient considérés comme étrangers; mais, sur le plan pénal, ils étaient assimilés à des locaux, et leur accès aux services consulaires en cas de problème n'était pas garanti. Les autorités vietnamiennes ont modifié leur attitude. Depuis 1996, les Vietnamiens d'outre-mer peuvent ainsi investir dans les mêmes conditions que les locaux. Récemment, ils ont obtenu la permission d'acheter un appartement, mais l'acquisition de terrains ou de maisons leur est encore impossible. Une loi est en discussion pour que certains Viêt-kieu puissent bénéficier de la double nationalité, ce que le gouvernement vietnamien avait toujours refusé jusqu'à présent. Mais l'horizon n'est pas encore éclairci. «Le problème essentiel est l'incertitude. Nous ne savons pas ce qui peut nous arriver. Du jour au lendemain, notre affaire peut être fermée sans que l'on ait la moindre garantie», s'inquiète un Vietnamien d'outre-mer requérant l'anonymat. Beaucoup d'entre eux ont abandonné une situation confortable dans leur pays d'accueil pour revenir au Viêt-nam. Une prise de risques qui, pensent certains, n'est pas appréciée à sa juste valeur par les autorités.

Chez la plupart des Viêt-kieu réinstallés au Viêt-nam, l'attachement à la terre natale se traduit par une volonté farouche d'aider leur pays. Parallèlement à leurs activités économiques, presque tous sont engagés dans des actions sociales, de l'éducation des enfants de la rue à la promotion de l'artisanat villageois, en passant par l'établissement de cliniques spécialisées. «Les Vietnamiens sont en train de se noyer. Ils ne savent pas comment nager. Ne leur hurlez pas dessus, mais tendez-leur un bâton», explique Nguyen Dan Tieng. Pour la plupart, ils se gardent bien de se brûler aux feux de la politique, un jeu dont les conséquences ne peuvent être que désastreuses pour leurs affaires et leur avenir au Viêt-nam. Ce que l'informaticien résume ainsi: «Quand vous allez vivre dans une famille, vous vous pliez aux règles de la maison.».

Par Arnaud Dubus - Libération, le 28 Avril 2000.