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Georges Boudarel, ancien commissaire politique stalinien

Historien lucide du Vietnam communiste et ancien commissaire politique stalinien.

Georges boudarel est mort des suites d'une longue maladie, vendredi 26 décembre, dans la région parisienne, à l'âge de 77 ans. Sa vie est l'histoire d'un jeune enseignant politisé et que le cours des événements a placé au centre d'une controverse provoquée par son séjour, comme commissaire politique adjoint - donc du côté des geôliers - dans un camp de prisonniers faits par le Vietminh pendant la première guerre d'Indochine.

Né en décembre 1926 dans le département de la Loire, issu d'une famille stéphanoise catholique, licencié en philosophie, Georges Boudarel adhère au PCF en 1947 et s'embarque pour l'Indochine la même année. Après deux ans d'enseignement au lycée Marie-Curie de Saïgon, il passe en 1950 dans le camp du Vietminh, à l'âge de 24 ans.

La vie est très rude dans les rangs de la guérilla, d'autant que Boudarel remonte à pied pistes de jungle et de montagne pour gagner le nord du Vietnam. Il a raconté cet itinéraire dans son Autobiographie (Jacques Bertoin, 1991). Il est envoyé par le Vietminh au camp 113, où il est chargé de l'instruction politique de prisonniers français, affectation qui sera la source d'une vive polémique près de trois décennies plus tard. Déçu par l'évolution du régime communiste à la suite des excès de la réforme agraire et des purges de 1955-1956 dans le Nord, dont il a offert un témoignage crucial dans Cent fleurs éclosent dans la nuit du Vietnam (Jacques Bertoin, 1991), il se réfugie à Prague.

Condamné à mort pour insoumission et désertion, Georges Boudarel regagne la France après avoir bénéficié de la loi d'amnistie du 18 juin 1966. Le philosophe se fait historien du Vietnam, dont il parle la langue et qu'il connaît si bien. Parallèlement, il prend position contre le régime de Hanoï, dont il fustige le système d'endoctrinement. "En 1975, bien avant les nouveaux philosophes, Boudarel a été l'un des rares à nous avertir de la réalité sanglante du totalitarisme", a rapporté l'un d'entre eux à Dominique Le Guilledoux (Le Monde du 20 mars 1991). L'enseignant dirige aussi la publication d'un ouvrage critique sur le régime de Hanoï, La Bureaucratie au Vietnam (L'Harmattan, 1983). Le passé du camp 113 le rattrape un peu plus tard alors qu'il est maître de conférences à Jussieu-Paris-VII. Le 13 février 1991, lors d'un colloque au Sénat sur le Vietnam auquel Boudarel participe, il est apostrophé par Jean-Jacques Beucler qui, au nom d'anciens prisonniers, exprime "son plus profond mépris" à l'historien. "Vous avez du sang sur les mains. Votre présence à cette tribune est indécente", ajoute l'ancien secrétaire d'Etat à la défense puis aux anciens combattants de 1977 à 1978. La polémique se poursuit avec un témoignage de Claude Baylé, Prisonnier au camp 113 (Perrin, 1991), qui raconte les conditions de détention de soldats épuisés et affamés, pris dans le filet des séances d'autocritique dont l'objet est la dénonciation de ses propres camarades et l'approbation de tout ce que veut l'administration du camp. Il montre Boudarel du doigt.

"Un idéaliste ? Non, un con"

Dans le camp 113, comme dans d'autres (voir Le Manifeste du camp n° 1 de Jean Pouget, Fayard en 1969), les pourcentages de morts sont très élevés et les survivants libérés après les accords de Genève de 1954 sont dans un état pitoyable. Les geôliers souffrent de restrictions (aliments, médicaments) presque aussi sévères que leurs prisonniers car le corps expéditionnaire exerce un blocus de ces zones. En ne déclarant pas la guerre, la France se prive d'un atout en faveur de ses prisonniers : l'application des conventions de Genève et l'intervention de la Croix-Rouge internationale.

Quoi qu'il en soit, l'extrême droite s'empare de l'"affaire" Boudarel et la gauche accorde un soutien à l'enseignant sans pour autant l'exonérer. Pierre Vidal-Naquet (Le Monde du 23 mars 1991) refuse de "cautionner, même par un simple silence, la chasse à l'homme qui est en train de se dérouler". La justice, pour sa part, déboute Boudarel de l'instance en référé engagée pour obtenir le retrait de certains passages de la préface de Prisonnier au camp 113, signée par Jean-Jacques Beucler, et le sous-titre ("Le camp de Boudarel"), qui fait de Georges Boudarel un patron alors qu'il n'est qu'un rouage.

"J'étais stalinien, je le regrette à 100 %", a déclaré au Monde, en 1991, l'ancien commissaire politique. A la même époque, quand Jean-Pierre Elkabbach lui a dit, à la fin d'une interview sur Europe 1 : "Au fond vous étiez un idéaliste... ou un salaud ?", Boudarel lui a répondu : "Non, j'étais un con." Les écarts de Boudarel ne devraient pas pour autant occulter l'apport vital de ses témoignages non seulement sur la résistance mais sur la terrible répression pratiquée en 1955-1956 par les apparatchiks du parti, souvent ceux de l'arrière, et dont les victimes ont été les combattants jugés politiquement incorrects - petits propriétaires terriens, petite bourgeoisie urbaine, intellectuels, si souvent en première ligne, ou ceux pris au piège de règlements de comptes locaux.

Par Jean Claude Pomonti - Le Monde - 29 Décembre 2003.