"Pseudonovibos spiralis": le boeuf sauvage était un canular
PARIS - Personne ne l'avait jamais vu mais beaucoup de scientifiques
croyaient à l'existence de cet énigmatique boeuf sauvage aux cornes annelées, censé
rôder dans les fins fonds des forêts d'Indochine: pour une équipe de chercheurs français,
le "dernier grand mammifère découvert au XXème siècle" était en fait un canular.
Cet animal n'est que le fruit d'une "extraordinaire imposture", tranchent le naturaliste Arnoult Seveau, de la
Société zoologique de Paris, à l'origine de ce revirement rocambolesque, Herbert Thomas, paléontologue et
grand spécialiste de l'anatomie des bovidés au Collège de France, et le biochimiste Alexandre Hassanin, de
l'Université Paris-VI.
Tout semblait pourtant commencer sous les meilleurs auspices. En 1993, deux chercheurs allemands examinent
des cornes en forme de lyre, récoltées au Vietnam, où la créature est connue comme "Linh Duong" (chèvre des
montagnes). L'année suivante, ils annoncent solennellement la "naissance" scientifique d'un nouveau bovidé qu'ils
nomment "Pseudonovibos spiralis".
En 1996, l'animal est inscrit par l'Union internationale de la conservation de la nature (UICN) parmi les espèces
menacées. Une affiche publiée par le ministère cambodgien de l'Environnement, aidé par le Fonds mondial pour
la nature (WWF), le fait découvrir, faute de toute photo, sous forme de dessin.
En 1999, Arnoult Seveau parcourt les régions les plus reculées du Cambodge à la recherche de toute trace de
"Pseudonovibos" vivants. Il rentre bredouille, après avoir parcouru 10.000 kilomètres en camion, à moto et à
pied.
"J'ai tout de même ramené de nombreux témoignages sur ce mystérieux animal, le Khting Vor, qui signifie, en
khmer, boeuf sauvage aux cornes liane, ou Khting Sipuoh, boeuf mangeur de serpents", raconte-t-il à l'AFP. "En
outre, j'ai découvert sur des marchés des cornes et un trophée sculpté."
En France, par un grand coup de hasard, Arnoult Seveau tombe sur quatre trophées rapportés dès 1925
d'Indochine par un colon français. Il apporte alors son trésor à Herbert Thomas. Des moulages sont effectués
pour prouver la correspondance entre les os frontaux et les étuis cornés. Et là, le merveilleux conte de fée se gâte
brusquement.
"Déjà, les anneaux réguliers des cornes ne peuvent être naturels mais, surtout, le moulage interne fait ressortir un
pincement des cornes, qui a dû être provoqué lorsqu'on les a tordues, probablement à chaud, pour ramollir la
kératine", remarque Herbert Thomas. "Sans ambiguïté, ces cornes sont sculptées et totalement factices."
L'examen de l'ADN des os frontaux confirme le diagnostic: le crâne provient... de simples vaches.
Dans deux articles à paraître en janvier dans les "Comptes rendus de l'Académie des sciences", les scientifiques
vont donc proposer que le nom de "Pseudonovibos spiralis", invalide, soit rejeté par la Commission internationale
de nomenclature zoologique.
Mais quelles sont les racines de cette fraude ? Le mystère demeure entier. Une seule chose est sûre, c'est qu'elle
est l'oeuvre de très habiles artisans.
"L'explication pourrait résider dans les croyances khmères, qui attribuent à ces cornes des vertus médicinales, en
particulier dans les cas de morsure de serpents venimeux", note Arnoult Seveau. "Un tel animal quasi mythique
devait donner à ces trophées une grande valeur marchande, d'autant que leur fabrication nécessitait une long
travail afin de leur donner un caractère d'authenticité."
Agence France Presse, le 15 Décembre 2000.
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