~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

[Année 1997]
[Année 1998]
[Année 1999]
[Année 2000]
[Année 2001]
[Année 2002]

Nu'o'c Bi, tôi không biêt?... Cac ban dùa dây à!

En voie de développement´. Pour le Viêtnam au moins, l'expression parfois désuète paraît on ne peut plus adéquate. Coups de sonde, en compagnie d'une délégation Wallonie-Bruxelles

Ça vous a une allure de chocolat belge, ça vous a une réputation de chocolat belge, ça vous... Non, l'objectivité commande d'écrire que cela n'a pas encore tout à fait le goût du chocolat belge (c'est du chocolat demi-fini, il faut dire, qui fait un peu gras dans le palais, à destination de chaînes alimentaires et de pâtisseries). Mais ce n'est pas du chocolat belge. Nous voilà humant quelques chauds parfums bien loin, dans le Sud vietnamien, en province de Binh Duong.

Au coeur d'un zoning inattendu, très propret, à l'occidentale, une enseigne exotiquement baptisée `Grand Place´. À la barre (sans jeu de mots), deux frères originaires de Liège, qui ont d'abord exporté du chocolat belge au Viêtnam, dès 1993, avant d'en produire sur place. `Il a fallu plusieurs années d'efforts et de patience. Mais nous avons investi ici parce que le Viêtnam est le pays asiatique qui bénéfice de la plus longue tradition en confiserie´, raconte Pierre Safarian, directeur général, dont la société possède déjà une chocolaterie à Tokyo; `nous produisons un chocolat de qualité belge à un prix abordable pour les Vietnamiens. C'est un secteur important, en pleine croissance´.

Soit un investissement de 500000€, pour une trentaine d'emplois. Salaire moyen: 80 $ par mois, davantage que les 50 $ moyennement en vigueur dans le zoning. L'entreprise tourne depuis quelques mois mais elle vient d'être inaugurée par Jean-Claude Van Cauwenberghe, le ministre-Président (PS) de la Région wallonne en mission officielle dans le pays. C'est que, se félicite le chocolatier, il a pu profiter d'un soutien important des services de l'Awex - l'Agence wallonne à l'exportation. Et c'est un sacrément coloré coq en chocolat, grandeur au moins nature, mais les deux pattes prudemment campées sur son plateau, qui attendait Van Cau.

Moins appétissant, mais plus stratégique. Nous voilà dans la banlieue d'Ho Chi Minh Ville, ou Saïgon comme on le redit de plus en plus. Grouillante de vie, de monde, de bruit (7 millions d'habitants, 2 millions de deux-roues). C'est au milieu d'une artère comme tant d'autres, avec ses échoppes à même le trottoir, les slalomeurs et acrobates à mobylettes chinoises, les porteuses de palanches sur l'épaule (ce transport du riz, de bananes, de fruits de la passion, etc. par assemblage de deux paniers pendus à une tige de bambou), les masques protégeant de la pollution (ou du bronzage, si si) et les chapeaux coniques, du soleil (35°, ces jours-ci, de début novembre)... Ici donc turbine le seul incinérateur de déchets hospitaliers de la cité. Et le seul du pays avec traitement de fumées. Soit 7 tonnes par jour. Il a été construit par Basse Sambre ERI, société d'ingénierie spécialisée dans la conception et la réalisation d'installations industrielles dans les domaines de l'environnement notamment. Le projet a été soutenu par la Région wallonne, et a bénéficié d'un subside de l'État belge à hauteur de 1,4 million d'euros.

`La population ne cessant d'augmenter et le développement industriel, de s'accélérer, le pays connaît de gros besoins en environnement. Pour un pays en voie de développement, le Viêtnam est très conscient du problème´, explique Philippe Delcourt, attaché au bureau vietnamien de l'Awex. Qui, en guise de secteurs d'activités ici porteurs pour nos entreprises (55 sociétés belges sont présentes, dont 22 peuvent être qualifiées de wallonnes), énumère l'environnement avant l'énergie, la sélection animale, la pharmacie et la chimie, l'informatique. Et quand on demande à Lê Thanh Hai, le président du comité populaire de HCMV (c'est-à-dire, son maïeur), quels sont les défis majeurs de sa cité, il cite l'environnement lui aussi, avec la mobilité `qui est un casse-tête´ (on ne le lui fait pas dire, dans une mégapole plus chiche en transports collectifs qu'en bouchons de deux-roues); l'éducation et la formation; enfin `l'état obsolète des équipements industriels et leur faible compétitivité´.

Nouveau changement de décor. Dans le nord, rural, à plus de deux heures de route de Hanoï. Province de Hai Duong, delta du Fleuve rouge. Sur une platitude verte et aqueuse qu'aucune aspérité ne vient hérisser, des rizières à perte de vue (même si, entre les deux récoltes de riz par an, c'est aujourd'hui l'oignon qui pousse, et pour la première fois un peu de maïs). Des officiels de l'étape attendent en nombre la délégation belgo-wallonne dans la modeste salle de réunion d'un village paisible. La grande affaire ici, c'est la `vulgarisation´ agricole. Comprenez: un mélange de sensibilisation, d'encadrement, de formation. On compte un club par village - club de paysans qui se regroupent régulièrement et volontairement pour améliorer et stabiliser le revenu tiré de leur production agricole, comme résume le libellé officiel.

Autrement dit, on (s')aide au passage d'une agriculture de subsistance (d'autoalimentation) à une agriculture plus intensive (permettant la commercialisation du surplus). Et la Communauté française, bientôt la Région wallonne (un financement de 200000€ sur 3 ans), collaborent à l'opération, aux allures encore lentes et lourdaudes, dans les méthodes de réunions et de planification. Planifier quoi? Coopérant Apefe (notre francophone Association pour la promotion de l'éducation et de la formation à l'étranger), l'agronome Gaëtan Carbon témoigne: `Il y a tellement de main-d'oeuvre, le chômage occulté est si énorme, que la priorité n'est pas à la mécanisation. Quand les compagnies privées travaillent avec les producteurs, on craint les conséquences sociales et environnementales; la nappe phréatique commence déjà à être polluée. Non, nous devons travailler avec les plus pauvres, avec les femmes. Améliorer les compétences. Diversifier les productions´. Pas seulement celles du riz, avec de nouvelles variétés: la production devient excédentaire, et les prix ont baissé.

Or, le revenu moyen d'une famille agricole ne dépasse déjà pas 10 $ par mois; elle ne dispose en moyenne, il est vrai, que d'un tiers d'hectare - `ce n'est pas beaucoup, évidemment´.

Trois scènes, trois instantanés, trois modalités variées d'interventions francophones belges au Viêtnam (très variées même, lira-t-on ci-dessous). Trois signaux, surtout, d'un pays qui - économiquement - change tant depuis le début des années nonante. Philippe Delcourt: `Quand le régime le veut bien, le Viêtnam évolue très vite. Il y a dix ans, il importait du riz. Aujourd'hui, il en est le deuxième exportateur mondial. Idem pour le café. Et le secteur privé dépasse désormais la moitié de l'activité économique. Surtout dans le commerce. Davantage que dans les services et l'industrie´.

Le Viêtnam n'est pas un `tigre´ asiatique. Politiquement, historiquement, culturellement, il ne saurait pas l'être. Ce qui lui a valu d'ailleurs de souffrir moins, et plus tard, de la grande crise régionale. En 2001, avec 6,7 pc (chiffre controversé), le pays aurait décroché le deuxième taux de croissance au monde, après la Chine voisine. En tout cas, il est mieux (ou moins mal) placé au classement du développement qu'à celui du revenu par habitant. De quoi bien sentir, ici, ce qui distingue les pays pudiquement traités de `moins avancés´ de ceux `en voie de développement´. Tel est bien le cas du Viêtnam, dont la valeur des exportations a été quintuplée entre 1990 et 2000.

C'est là le résultat de la politique de `doi moi´, ou du `renouveau´: ouverture de la coopération avec l'étranger, encouragement des investisseurs privés, rapprochement avec Banque mondiale et FMI... Clin d'oeil, en passant, doublement flatteur pour ses hôtes comme pour l'orateur: le Cawa (non, ça, ce n'est pas du vietnamien, mais du wallon: le `Contrat d'avenir pour la Wallonie actualisé´), `c'est un peu notre doi moi´, a lâché Van Cau à l'Université d'Economie nationale de Hanoï, devant les stagiaires d'un programme (co-financé avec l'ULB) de formations en management privé comme public de l'école de commerce Solvay, auxquels il venait vanter les réformes et la modernisation de la Région wallonne.

Bref, un peu sur le modèle chinois, le radical monopartiste et communiste Viêtnam s'est engouffré sur le chemin atypique, corseté et débridé à la fois, du capitalisme d'État. `L'économie de marché est une conquête de l'humanité´ a même déclaré le camarade Nguyen Tan Dung, vice-Premier ministre, devant une délégation francophone-wallonne qui n'en est pas tout à fait revenue. Le `soutien à l'économie de marché´ s'affiche d'ailleurs en tête des perspectives de collaboration, à la demande de Hanoï - lesdites formations en management et `vulgarisations´ agricoles citées en exemple. Van Cau, devant la presse vietnamienne: `Il y a des freins, que vos responsables politiques veulent vaincre. Ils me disent que les vieilles méthodes de gestion doivent évoluer´. Quant à savoir si le régime politique peut générer l'évolution économique... Non, cela paraît dépassé: quant à savoir si l'évolution n'est pas à même de fragiliser tôt ou tard le régime, ça...

Par Paul Piret - La Libre Belgique - 15 Novembre 2002.