Nu'o'c Bi, tôi không biêt?... Cac ban dùa dây à!
En voie de développement´. Pour le Viêtnam au moins, l'expression parfois désuète paraît on ne peut plus adéquate. Coups de sonde, en compagnie d'une délégation Wallonie-Bruxelles
Ça vous a une allure de chocolat belge, ça vous a
une réputation de chocolat belge, ça vous... Non,
l'objectivité commande d'écrire que cela n'a pas
encore tout à fait le goût du chocolat belge (c'est du
chocolat demi-fini, il faut dire, qui fait un peu gras
dans le palais, à destination de chaînes alimentaires
et de pâtisseries). Mais ce n'est pas du chocolat belge. Nous voilà humant quelques
chauds parfums bien loin, dans le Sud vietnamien, en province de Binh Duong.
Au coeur d'un zoning inattendu, très propret, à l'occidentale, une enseigne
exotiquement baptisée `Grand Place´. À la barre (sans jeu de mots), deux frères
originaires de Liège, qui ont d'abord exporté du chocolat belge au Viêtnam, dès 1993,
avant d'en produire sur place. `Il a fallu plusieurs années d'efforts et de patience. Mais
nous avons investi ici parce que le Viêtnam est le pays asiatique qui bénéfice de la plus
longue tradition en confiserie´, raconte Pierre Safarian, directeur général, dont la
société possède déjà une chocolaterie à Tokyo; `nous produisons un chocolat de
qualité belge à un prix abordable pour les Vietnamiens. C'est un secteur important, en
pleine croissance´.
Soit un investissement de 500000€, pour une trentaine d'emplois. Salaire moyen: 80
$ par mois, davantage que les 50 $ moyennement en vigueur dans le zoning.
L'entreprise tourne depuis quelques mois mais elle vient d'être inaugurée par
Jean-Claude Van Cauwenberghe, le ministre-Président (PS) de la Région wallonne en
mission officielle dans le pays. C'est que, se félicite le chocolatier, il a pu profiter d'un
soutien important des services de l'Awex - l'Agence wallonne à l'exportation. Et c'est
un sacrément coloré coq en chocolat, grandeur au moins nature, mais les deux pattes
prudemment campées sur son plateau, qui attendait Van Cau.
Moins appétissant, mais plus stratégique. Nous voilà dans la banlieue d'Ho Chi Minh
Ville, ou Saïgon comme on le redit de plus en plus. Grouillante de vie, de monde, de
bruit (7 millions d'habitants, 2 millions de deux-roues). C'est au milieu d'une artère
comme tant d'autres, avec ses échoppes à même le trottoir, les slalomeurs et
acrobates à mobylettes chinoises, les porteuses de palanches sur l'épaule (ce
transport du riz, de bananes, de fruits de la passion, etc. par assemblage de deux
paniers pendus à une tige de bambou), les masques protégeant de la pollution (ou
du bronzage, si si) et les chapeaux coniques, du soleil (35°, ces jours-ci, de début
novembre)... Ici donc turbine le seul incinérateur de déchets hospitaliers de la cité. Et
le seul du pays avec traitement de fumées. Soit 7 tonnes par jour. Il a été construit
par Basse Sambre ERI, société d'ingénierie spécialisée dans la conception et la
réalisation d'installations industrielles dans les domaines de l'environnement
notamment. Le projet a été soutenu par la Région wallonne, et a bénéficié d'un
subside de l'État belge à hauteur de 1,4 million d'euros.
`La population ne cessant d'augmenter et le développement industriel, de s'accélérer, le
pays connaît de gros besoins en environnement. Pour un pays en voie de développement,
le Viêtnam est très conscient du problème´, explique Philippe Delcourt, attaché au
bureau vietnamien de l'Awex. Qui, en guise de secteurs d'activités ici porteurs pour
nos entreprises (55 sociétés belges sont présentes, dont 22 peuvent être qualifiées
de wallonnes), énumère l'environnement avant l'énergie, la sélection animale, la
pharmacie et la chimie, l'informatique. Et quand on demande à Lê Thanh Hai, le
président du comité populaire de HCMV (c'est-à-dire, son maïeur), quels sont les défis
majeurs de sa cité, il cite l'environnement lui aussi, avec la mobilité `qui est un
casse-tête´ (on ne le lui fait pas dire, dans une mégapole plus chiche en transports
collectifs qu'en bouchons de deux-roues); l'éducation et la formation; enfin `l'état
obsolète des équipements industriels et leur faible compétitivité´.
Nouveau changement de décor. Dans le nord, rural, à plus de deux heures de route
de Hanoï. Province de Hai Duong, delta du Fleuve rouge. Sur une platitude verte et
aqueuse qu'aucune aspérité ne vient hérisser, des rizières à perte de vue (même si,
entre les deux récoltes de riz par an, c'est aujourd'hui l'oignon qui pousse, et pour la
première fois un peu de maïs). Des officiels de l'étape attendent en nombre la
délégation belgo-wallonne dans la modeste salle de réunion d'un village paisible. La
grande affaire ici, c'est la `vulgarisation´ agricole. Comprenez: un mélange de
sensibilisation, d'encadrement, de formation. On compte un club par village - club de
paysans qui se regroupent régulièrement et volontairement pour améliorer et
stabiliser le revenu tiré de leur production agricole, comme résume le libellé officiel.
Autrement dit, on (s')aide au passage d'une agriculture de subsistance
(d'autoalimentation) à une agriculture plus intensive (permettant la commercialisation
du surplus). Et la Communauté française, bientôt la Région wallonne (un financement
de 200000€ sur 3 ans), collaborent à l'opération, aux allures encore lentes et
lourdaudes, dans les méthodes de réunions et de planification.
Planifier quoi? Coopérant Apefe (notre francophone Association pour la promotion de
l'éducation et de la formation à l'étranger), l'agronome Gaëtan Carbon témoigne: `Il y
a tellement de main-d'oeuvre, le chômage occulté est si énorme, que la priorité n'est pas
à la mécanisation. Quand les compagnies privées travaillent avec les producteurs, on
craint les conséquences sociales et environnementales; la nappe phréatique commence
déjà à être polluée. Non, nous devons travailler avec les plus pauvres, avec les femmes.
Améliorer les compétences. Diversifier les productions´. Pas seulement celles du riz,
avec de nouvelles variétés: la production devient excédentaire, et les prix ont baissé.
Or, le revenu moyen d'une famille agricole ne dépasse déjà pas 10 $ par mois; elle ne
dispose en moyenne, il est vrai, que d'un tiers d'hectare - `ce n'est pas beaucoup,
évidemment´.
Trois scènes, trois instantanés, trois modalités variées d'interventions francophones
belges au Viêtnam (très variées même, lira-t-on ci-dessous). Trois signaux, surtout,
d'un pays qui - économiquement - change tant depuis le début des années nonante.
Philippe Delcourt: `Quand le régime le veut bien, le Viêtnam évolue très vite. Il y a dix
ans, il importait du riz. Aujourd'hui, il en est le deuxième exportateur mondial. Idem pour
le café. Et le secteur privé dépasse désormais la moitié de l'activité économique. Surtout
dans le commerce. Davantage que dans les services et l'industrie´.
Le Viêtnam n'est pas un `tigre´ asiatique. Politiquement, historiquement,
culturellement, il ne saurait pas l'être. Ce qui lui a valu d'ailleurs de souffrir moins, et
plus tard, de la grande crise régionale. En 2001, avec 6,7 pc (chiffre controversé), le
pays aurait décroché le deuxième taux de croissance au monde, après la Chine
voisine. En tout cas, il est mieux (ou moins mal) placé au classement du
développement qu'à celui du revenu par habitant. De quoi bien sentir, ici, ce qui
distingue les pays pudiquement traités de `moins avancés´ de ceux `en voie de
développement´. Tel est bien le cas du Viêtnam, dont la valeur des exportations a
été quintuplée entre 1990 et 2000.
C'est là le résultat de la politique de `doi moi´, ou du `renouveau´: ouverture de la
coopération avec l'étranger, encouragement des investisseurs privés, rapprochement
avec Banque mondiale et FMI... Clin d'oeil, en passant, doublement flatteur pour ses
hôtes comme pour l'orateur: le Cawa (non, ça, ce n'est pas du vietnamien, mais du
wallon: le `Contrat d'avenir pour la Wallonie actualisé´), `c'est un peu notre doi moi´,
a lâché Van Cau à l'Université d'Economie nationale de Hanoï, devant les stagiaires
d'un programme (co-financé avec l'ULB) de formations en management privé comme
public de l'école de commerce Solvay, auxquels il venait vanter les réformes et la
modernisation de la Région wallonne.
Bref, un peu sur le modèle chinois, le radical monopartiste et communiste Viêtnam
s'est engouffré sur le chemin atypique, corseté et débridé à la fois, du capitalisme
d'État. `L'économie de marché est une conquête de l'humanité´ a même déclaré le
camarade Nguyen Tan Dung, vice-Premier ministre, devant une délégation
francophone-wallonne qui n'en est pas tout à fait revenue. Le `soutien à l'économie de
marché´ s'affiche d'ailleurs en tête des perspectives de collaboration, à la demande
de Hanoï - lesdites formations en management et `vulgarisations´ agricoles citées en
exemple. Van Cau, devant la presse vietnamienne: `Il y a des freins, que vos
responsables politiques veulent vaincre. Ils me disent que les vieilles méthodes de gestion
doivent évoluer´. Quant à savoir si le régime politique peut générer l'évolution
économique... Non, cela paraît dépassé: quant à savoir si l'évolution n'est pas à
même de fragiliser tôt ou tard le régime, ça...
Par Paul Piret - La Libre Belgique - 15 Novembre 2002.
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