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La Berlinale sort le cinéma vietnamien de l'oubli

BERLIN - Sept films et un documentaire vietnamiens ont été présentés cette année hors compétition lors de la 51ème édition de la Berlinale, une innovation dans le monde des grands festivals internationaux de films, révélatrice d'un changement en profondeur du 7ème art au Vietnam. "Je n'aurais pas pu faire ce film il y a trois ans", raconte Luu Trong Ninh, réalisateur de "La rive des femmes sans hommes". Ce qui aurait été impossible alors dans un pays où la censure intervient dès le scénario, puis encore une fois au montage, c'est de traiter le thème de la guerre d'un point de vue humain, comme l'ont fait les huit réalisateurs invités à la Berlinale.

"J'ai proposé de mettre l'accent sur le Vietnam cette année, parce qu'il y a une atmosphère de renouveau dans le style et le contenu des films. C'est dû au fait que la situation politique a changé. Des films différents de ceux de propagande sont acceptés, qui racontent la souffrance des humains", explique Dorothee Wenner, membre du jury de sélection des films de la sélection Forum de la Berlinale. Vingt-six ans après la fin de 30 ans de guerre coloniale et post-coloniale, la guerre reste le sujet central des films vietnamiens, "pour que les jeunes générations sachent", selon les termes de Luu Trong Ninh. Mais le thème de la défaite et de la victoire est devenu secondaire, faisant place à celui du sacrifice, notamment enduré par les femmes.

"La rive des femmes sans hommes" dresse un portrait de la génération sacrifiée des femmes de la guerre, tristes, délaissées et frustrées. Un jeune soldat, Van, s'installe dans un village peuplé de femmes qui attendent fils, frères et maris. L'amour naît entre Van et Nham, puis meurt, étouffé par la jalousie des autres femmes animées par l'instinct primitif de survie qu'a réveillé la guerre, si longue. Assises sous un arbre, elles regardent le jeune soldat et leur désir est aussi brûlant que les fleurs écarlates qui enlacent les branches. Le film n'accuse pas que les Français, les Chinois et les Américains d'avoir tour à tour bombardé et pillé le Vietnam, mais aussi la manière dont la société vietnamienne a été traitée par ses dirigeants. Par exemple, les femmes de l'unité d'artillerie du village de Ngu Thuy, qui, après avoir connu la célébrité pour avoir coulé cinq navires de guerre américains, ont sombré dans l'oubli. Tel est le thème de "Retour à Ngu Thuy", un documentaire réalisé par Le Manh Thich, lequel est allé à la rencontre de ces femmes. "Pas récompensées, ni décorées, ni indemnisées, ces femmes qui ont sacrifié leur jeunesse à la guerre se retrouvent aujourd'hui pauvres et seules, sans mari ni enfants", souligne-t-il.

Il y a trois ans, Luu Trong Ninh a réalisé un film sur un thème similaire, "Nga Ba Dong Loc", qui raconte l'histoire de jeunes adolescentes chargées de désamorcer les bombes ennemies qui n'ont pas explosé. Dans un camp entouré d'un parc, elles rêvent d'amour et de famille et partent en mission comme si elles partaient en randonnée: le regard coquin et le rire clair de jeunes filles en fleur. A la fin du film, 10 d'entre elles trouvent la mort dans une explosion. Cette oeuvre, destinée à montrer au public de la Berlinale le chemin parcouru depuis est "un film de propagande commandé par les autorités. Le message est que les sacrifices qui ont été fait dans notre pays ont tous un sens", explique Luu Trong Ninh. Ce conformisme tranche avec l'audace de "Dans le sud et puis retour" de Phi Tien Son, dont le héros est un déserteur mélancolique et comique, fatigué de la guerre et très attachant, une première dans le cinéma vietnamien.

"Avant, on essayait tous de raconter la guerre comme une succession d'évènements héroïques, estime le réalisateur. Aujourd'hui on peut dire que les soldats ne sont finalement que des hommes qui ont souvent peur et rêvent de leurs amours. On peut parler plus librement de nos souvenirs".

Agence France Presse, le 19 Février 2001.