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Sous le signe du dragon

Le Vietnam en primeur mondiale à Bruxelles. Plus de 3.000 ans d'histoire culturelle. Des pièces anciennes sortent pour la première fois du pays

Le grand public connaît sans nul doute mieux le Vietnam pour ses images de guerre, de bombardements, d'enfants en fuite, que pour sa culture. Sinon pour le raffinement de sa cuisine, ou à travers l'écran de grandes productions hollywoodiennes. S'il ne s'agit que d'« un aperçu » - qui remonte malgré tout à l'âge du bronze (Ier millénaire avant notre ère) pour s'achever au Vietnam d'aujourd'hui -, le défi que relève le Musée du Cinquantenaire est de taille. Créée en synergie avec le Museum für Völkerkunde de Vienne, où elle se rendra ensuite avant que les pièces ne retournent au Vietnam, cette expo-événement est la plus grande mise sur pied par les Musées royaux d'art et d'histoire depuis celle consacrée, en 1999, aux Indiens d'Amérique du Nord.

A l'arrivée, force est de regretter, du point de vue strictement scénographique, que l'aventure n'est pas tout à fait à la hauteur de la qualité artistique et ethnographique des pièces, présentées dans un espace au carré, auxquelles on aurait pu sacrifier davantage d'espace muséal. Pour l'ouverture au public ce mercredi, l'équipe du Cinquantenaire aura été sur les dents car il s'agit de remédier in extremis aux faiblesses de l'éclairage et de focaliser l'attention sur les pièces les plus remarquables de cette expo unique dans son propos ainsi que dans ses objets.

Depuis 2002, au terme d'années d'isolement et de protectionnisme, le Vietnam autorise enfin ses musées à octroyer le prêt de leurs collections à l'étranger. Le Cinquantenaire rêvait de créer cet événement depuis une dizaine d'années, fomentant pour ce faire contacts et tractations avec le gouvernement et les musées les plus importants du Vietnam. L'expo telle que nous la découvrons aujourd'hui aura été montée en un temps record : huit mois ! Une sélection très pointue (mais pas suffisamment signifiée) a été opérée tant dans les collections vietnamiennes que dans celles très riches du Cinquantenaire, du musée Guimet, à Paris, et du partenaire viennois. Et encore n'est-ce là qu'un aperçu, une introduction au sein de trois millénaires d'arts et de culture au Vietnam… Il s'agit en fait d'ouvrir quelques fenêtres sur un « melting pot » pluri-ethnique et pluriculturel tentaculaire où il est mal aisé de déceler une véritable identité culturelle.

L'expo, qui rassemble 450 œuvres dont la majeure partie sort pour la première fois du Vietnam, dresse non une fiche signalétique mais un assemblage savant de portraits croisés, avec ses points de fuite vers la Chine, éternelle puissance envahissante, ou l'Indonésie voisine. Il faut s'y promener, se perdre entre les lignes d'un temps que nous ne dominons pas, voguer d'esthétique en esthétique, osciller entre vie et mort, entretenir le dialogue entre sacré et profane, à la découverte d'une exceptionnelle culture de la convergence entre plusieurs civilisations.

Dans le Sud-Est asiatique, le Vietnam arbore le dessin d'un « S » allongé, voire le profil stylisé d'un dragon, cet animal emblématique qu'on retrouve sur nombre d'objets, fin, ophidien, tortueux, à la tête expressive où pétillent des yeux globuleux très marqués. Sculpté sur des portes, au feu des céramiques, caracolant dans les rues, tissé dans la soie, le dragon tient une place importante dans la vie des Vietnamiens. En renvoyant aux mythes originels, ceux-ci se désignent comme « les descendants du dragon et de la fée ». Le dragon, adoré lors des rites de fertilité, est également vénéré en tant que vainqueur des envahisseurs du Nord, les Chinois.

Une autre image du Vietnam s'ébauche, à commencer par la très belle culture Dong Son (superbes tambours, bijoux et vases rituels) qui participera à l'élaboration d'une unité étatique à l'âge du bronze . Succéderont l'occupation millénaire chinoise, pendant laquelle le Vietnam, connu sous le nom de Giao Chau, maintient une culture, une langue et une identité, puis les grandes dynasties qui sacrent l'essor des lettres et des arts, l'art du commerce et des échanges, le joug des occupations française, japonaise et enfin américaine, jusqu'aux cultures encore vivantes des 54 ethnies qui vivent harmonieusement au Vietnam.

Les pièces artistiques et ethnographiques, plus « pauvres » qu'au Japon ou en Chine mais empreintes de l'essence vietnamienne, couvrent le champ du profane et du sacré, des robes de cour de l'impératrice à un panier d'irrigation, d'une statue de mandarin à une estampe… Jusqu'à l'installation au centre de l'expo d'une maison Muong toujours bloquée à Anvers au terme de son voyage maritime !

Certes, ce « survol » de la culture vietnamienne ne fera pas de nous des hérons au vol en ligne droite. Mais au travers de cette recherche d'un art descellé de son contexte archéologique, entre les perspectives chronologiques et thématiques parfois confuses, se conquiert aussi l'indépendance d'un pays.·

Par Dominique Legrand - Le Soir - 17 Septembre 2003.