Au Vietnam, contrôler l´effet Clinton
La poussière est retombée. Certes, les trois longues journées que Bill Clinton a
passées au Vietnam, dans la troisième semaine de novembre, n´ont pas changé le
cours de l´Histoire. Mais, dès le lendemain de la visite présidentielle américaine, dans
un commentaire peu repris, le Lao Dông, quotidien des syndicats vietnamiens, a parlé
de« sommet important et significatif ».
Ce journal officiel a estimé qu´en se rendant au Vietnam M. Clinton avait pris une
décision « courageuse », ajoutant que « les Français et les Japonais ont eu besoin de
plus de temps qu´un quart de siècle pour surmonter le passé lié à ce qu´ils avaient
causé au Vietnam ». « A Hanoï, on est plutôt content », a résumé une source
communiste vietnamienne, qui exclut tout retour de bâton.
Ces commentaires semblent trancher avec les propos tenus par Lê Kha Phiêu lorsqu´il
a rencontré M. Clinton le 18 novembre. Le secrétaire général du PC vietnamien avait
alors affirmé, dans ce qui a été présenté comme une sèche mise au point, que la
construction du socialisme demeurait l´objectif et que le secteur public continuerait de
jouer un rôle primordial dans le développement du pays. Cette fin de non-recevoir avait
été parfois interprétée comme la réaction d´un clan conservateur communiste encore
dominant. En fait, ces différentes réactions ne sont qu´apparemment paradoxales.
Une circulaire diffusée fin octobre par le bureau politique du PC a expliqué aux cadres
du parti qu´un accueil discret devait être réservé à M. Clinton. A ce moment-là, déjà, la
réponse aux appels attendus du président américain à la libéralisation du régime, y
compris dans son intervention télévisée en direct, était prête. Il ne restait qu´à faire face
aux imprévus : un éventuel dérapage ou un incident pendant le déroulement de la visite.
Respect des règles du jeu
Il n´y a pas eu de débordements, mais des petites foules curieuses, sympathisantes et
parfois chaleureuses ont été autorisées, à une ou deux exceptions près, à se regrouper
sur le passage du cortège présidentiel américain. M. Clinton a respecté, dans
l´ensemble, des règles du jeu fixées à l´avance. Cette visite a, toutefois, contribué à
mettre l´accent sur le vrai problème de la direction communiste vietnamienne :
comment conserver le contrôle du pays tout en le construisant ? Comment concilier
pouvoir et plongeon dans le XXIe siècle ?
L´illustration la plus récente de ce dilemme est l´accord commercial signé cette année
avec les Etats-Unis. Une fois ratifié par le Sénat américain en 2001, ce traité abaissera
les taxes sur les exportations vietnamiennes vers le marché américain de 40 % à 3 %.
En outre, du succès de son application dépendront non seulement un bond des
exportations évalué à 10 % , mais la possibilité d´intégrer l´OMC et,
donc, de conquérir d´autres marchés. En échange, il contraindra Hanoï à ouvrir
davantage son économie et à respecter des règles supplémentaires de transparence.
Le traité devrait bénéficier en priorité à un secteur privé encore réduit mais dynamique :
les entrepreneurs privés sont les plus compétents et les mieux placés pour exploiter le
relais, aux Etats-Unis, d´une diaspora vietnamienne comprenant un million de membres
et jugée hautement qualifiée. Or le secteur privé est surtout présent dans le Sud,
poumon économique du pays , d´où est originaire la vaste majorité
des anciens boat people installés en Amérique.
Le PC vietnamien, comme le chinois, est encore traumatisé par l´échec des réformes
en URSS, à la fin des années 80, et par la désintégration croissante de la Russie
post-soviétique. Il s´inquiète également de l´anarchie qui règne en Indonésie depuis
l´effondrement, en 1998, du système autocratique de Suharto. Pour éviter des troubles
sociaux redoutés, il lui faut une expansion forte, donc une accélération du rythme des
réformes. D´un autre côté, le meilleur moyen de garder le pouvoir est encore d´en
contrôler le pan économique.
Marge de manoeuvre étroite
Compte tenu des faiblesses peu surprenantes d´un secteur public subventionné et
souvent dans le rouge, la marge de manoeuvre du PC est donc étroite. L´option
communiste, depuis une quinzaine d´années, est une voie moyenne : un rythme
relativement lent des réformes. Si l´accélération de ce rythme figure dans le document
préparatoire au IXe Congrès du PC prévu en mars, les résistances politiques et les
luttes de clans sont encore assez vives pour que le résultat de ce rendez-vous
quinquennal soit imprévisible.
Mais, entre-temps, les accords bilatéraux ou internationaux passés au fil des années
contraignent le PC vietnamien à s´engager, à l´exemple de ce que fait la Chine, dans un
délicat mariage de convenance avec le reste du monde.
Tout en refermant le chapitre de la guerre, Bill Clinton n´a pu que tenter de réduire, au
Vietnam, les méfiances à l´égard d´une telle approche et contribuer à faire avancer le
débat.
Par Jean Claude Pomonti - Le Monde - Le 4 Décembre 2000.
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