La visite de Clinton crée un choc
La population vietnamienne a réservé un accueil
d'un enthousiasme inattendu au président américain.
Les officiels du régime ont eux ignoré les appels de
Bill Clinton à la démocratisation et à la libéralisation
économique.
BANGKOK - La visite de Bill Clinton devait être celle du rapprochement,
de la réconciliation entre deux grandes nations qui
s'étaient mutuellement meurtries, piégées par les
circonstances de l'histoire. Mais à écouter les discours de
part et d'autre, le fossé séparant Washington et Hanoï
semble loin d'être résorbé 25 ans après la fin de la guerre
du Vietnam.
Le président américain continue d'exalter les vertus du
l'ouverture économique et des libertés politiques; les
dirigeants vietnamiens rétorquent en brandissant l'avenir
brillant du socialisme et en criant à l'ingérence dans les
affaires intérieures. Une différence notable toutefois: la
population, qui dans les années 70 s'était unifiée dans un
formidable sacrifice collectif pour défaire la première
puissance militaire de la planète, a changé.
Aujourd'hui, 60 % des Vietnamiens n'ont pas connu la
guerre. Beaucoup des plus âgés, même dans le nord,
berceau du socialisme vietnamien, ont été déçus par la
gestion autocratique et bornée des révolutionnaires
parvenus au pouvoir. S'y ajoute la fascination des
Vietnamiens pour l'Amérique, symbole à leurs yeux de
prospérité et la liberté. Les centaines de milliers de
Vietnamiens immigrés aux Etats-Unis qui reviennent
chaque année dans leur pays d'origine représentent la
réussite pour ceux restés aux pays.
Les Dirigeants pris à contre-pieds
Ainsi s'explique l'incroyable chaleur de
l'accueil qu'a reçu le président Clinton
tant à Hanoï qu'à Ho Chi Minh-ville.
Comment pouvait-on imaginer ce retour
triomphal d'un président américain sur les lieux même de
la plus humiliante défaite essuyée par les Etats-Unis dans
leur histoire? 25 années d'endoctrinement anti-américain
balayés par un discours et quelques poignées de mains.
Les dirigeants vietnamiens ont été pris à contre-pied, ne
sachant d'abord comment réagir, puis optant pour le repli,
le durcissement de l'attitude et la rigueur du ton. Usant
d'un discours chargé de réminiscences des plus belles
années de l'anti-impérialisme, Le Kha Phieu, secrétaire
général du Parti communiste et ancien idéologue de
l'armée, a fustigé «l'invasion américaine», cherchant refuge
de la réalité dans des formules usées.
La visite de Clinton a été un catalyseur pour la majorité
des Vietnamiens, profondément las d'un régime obsédé
par le contrôle. Elle a clairement illustré le gouffre séparant
un cénacle d'autocrates et une société en mouvement,
avide de s'ouvrir au monde. Quelles vont en être les
conséquences ? Le ton employé par Le Kha Phieu laisse
présager un durcissement du régime, blessé de
l'ingratitude de la population étalée sur les écrans de la
planéte. Les luttes entre factions - réformistes contre
conservateurs -, mais aussi entre groupes géographiques
(Nord, Centre, Sud) sont coutumiers à l'approche de la
tenue d'un Congrès du Parti communiste ; le XIème
Congrès doit se tenir en mars prochain.
Pendant la visite de Bill Clinton, beaucoup de ministres
économiques ont tenu des propos libéraux, prenant le
contre-pied du discours conservateur de Le Kha Phieu sur
«la primauté des secteurs de l'Etat et des coopératives
dans l'économie actuelle». Il n'est pas sûr que le choc
créé par la première visite d'un président américain joue en
leur faveur à court terme.
Par Arnaud Dubus - Radio France Internationale , le 20 Novembre 2000.
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