Le président Bill Clinton appelle à la réconciliation entre Washington et Hanoï
Il a reconnu « l'incroyable sacrifice » des Vietnamiens durant la guerre qui a opposé
les deux pays
Après son discours prononcé vendredi devant les étudiants vietnamiens - et
retransmis à la télévision -, le président Clinton devait, samedi 18 novembre,
poursuivre ses entretiens avec les dirigeants vietnamiens en rencontrant le
numéro un du pays, le secrétaire général du Parti communiste, Lê Kha Phieu.
Il devait aussi visiter une exposition consacrée aux efforts de déminage,
auxquels participent les Etats-Unis.
HANOI - Aucun chef d'Etat étranger n'avait encore eu l'occasion de s'exprimer en direct à la
télévision vietnamienne. Premier à bénéficier de ce privilège, vendredi 17 novembre, Bill
Clinton en a profité pour dire aux Vietnamiens que, selon l'expérience américaine,
« garantir le droit à l'exercice de la religion et le droit à la dissidence politique ne
menace pas la stabilité d'une société ». « Au contraire, a-t-il poursuivi, ces droits
renforcent la confiance dans la justesse de nos institutions » , avant d'ajouter, « avec
force », que les Etats-Unis n'avaient pas l'intention d'imposer leur conception des
choses au Vietnam. « Vous seuls pouvez décider d'intégrer les libertés individuelles et
les droits de l'homme au tissu riche et fort de l'identité nationale vietnamienne », a-t-il
résumé.
Le président américain a également profité de l'occasion pour rendre hommage - autre
première - à « l'incroyable sacrifice des Vietnamiens des deux bords morts dans ce
conflit ». « Plus de trois millions de courageux soldats et civils », a-t-il dit après avoir
rappelé que cinquante-huit mille Américains étaient également morts au cours d'un
conflit « que nous appelons la guerre du Vietnam et que vous appelez la guerre
américaine ». « Ces sacrifices partagés, a-t-il ajouté devant un parterre d'étudiants et
d'officiels à l'université de Hanoï, ont donné à nos deux nations des relations sans
parallèle. » Dans son appel à la réconciliation, il a souhaité qu'un passé si
« douloureux » soit « racheté par un avenir pacifique et prospère ». Cette
reconnaissance officielle - et si longtemps attendue - par l'Amérique des souffrances du
Vietnam a sans doute compensé une évocation des libertés religieuse et politique qui
aurait été, au demeurant, rendue difficilement compréhensible par un cafouillage de la
traduction. De toute façon, prononcés sur un ton dénué de toute agressivité, les propos
de Bill Clinton n'ont pas provoqué de choc, le président vietnamien Trân Duc Luong se
contentant de rappeler, le soir-même, lors d'un banquet en l'honneur de son invité
américain : « L'important, à nos yeux, est le respect mutuel, la non-ingérence dans les
affaires internes de l'autre et le souci de ne pas laisser nos différences interférer dans
une coopération égale et qui profite à chacun. » « Après tant d'années de guerre, seule
la vie subsiste », avait dit Nguyen Trai, grand stratège vietnamien qui, au début du
XVe siècle, avait infligé une sanglante défaite aux Chinois. Dans sa réponse, Bill Clinton
a choisi cette citation pour inviter les Vietnamiens à tourner la page.
Cette visite, jusqu'ici, s'est déroulée de manière assez paradoxale, à la fois formelle et
informelle, tour à tour charmeuse et indifférente. Dans un Hanoï surpeuplé, de petites
foules se sont réunies sur le passage du cortège présidentiel pour apercevoir, répondre
à un salut ou serrer une main. Plus loin des regards, dans les jardins du palais
présidentiel, un chef d'Etat américain a passé en revue une garde d'honneur de l'armée
populaire vietnamienne, écouté l'hymne américain au pied d'un buste massif de l'oncle
Ho encadré par la bannière étoilée et le drapeau à l'étoile dorée sur fond rouge.
On a parlé non compensations mais « coopération » et « partenariat » pendant que,
aux Etats-Unis, le suspense électoral disputait à Bill Clinton la vedette des nouvelles.
La presse vietnamienne a surtout mis en évidence les dividendes commerciaux de cette
visite peu ordinaire.
Un Lâcher de tracts
A la fois curieux et pratiques, les Vietnamiens se demandent, de leur côté, quelle sera
la substance des retombées. Les jeunes ont pensé, une fois de plus, bourses d'études,
ordinateurs, accès accru aux nouvelles technologies, emplois liés aux parts de marché
américain, nouveaux horizons.
Un incident, démenti par Hanoï et ignoré par les médias locaux, a toutefois quelque peu
dérangé : alors que M. Clinton s'exprimait à l'université de Hanoï, un petit avion à
hélices aurait lâché sur Ho-Chi-Minh-Ville, l'ancien Saïgon, quelques tracts appelant au
soulèvement contre le régime communiste. Le fauteur de trouble serait Ly Tong, ancien
pilote sud-vietnamien et aujourd'hui de nationalité américaine. Il avait déjà, en 1992,
détourné un vol commercial pour se livrer à une manoeuvre identique avant de s'esquiver
à l'aide d'un parachute. Bill Clinton passera la journée de dimanche à Ho-Chi-Minh-Ville
avant de quitter le Vietnam.
Par Jean-Claude Pomonti - Le monde, le 18 Novembre 2000.
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