Le président Clinton reçoit à Hanoï un accueil amical et discret
Cette première visite d'un président américain au Vietnam est marquée par
une volonté commune de normaliser les relations après une guerre qui a fait
trois millions de victimes vietnamiennes, et cinquante huit mille morts parmi
les soldats américains.
HANOI - Il n'y a eu, contrairement aux habitudes locales, ni mots d'ordre de mobilisation ni
distribution de petits drapeaux. C'est donc une foule curieuse et sympathique de
Hanoïens qui s'est rassemblée, dans la soirée du jeudi 16 novembre, pour voir passer et
parfois applaudir le président américain, Bill Clinton, sur le chemin qui l'a conduit de
l'aéroport à son hôtel, le Daewoo, proche du centre de la capitale vietnamienne et dont
l'entrée était pavoisée de bannières étoilées et de drapeaux à l'étoile dorée sur fond
rouge. Il y avait toutefois moins de monde, vendredi matin, sur le chemin du palais
présidentiel, où a eu lieu la brève cérémonie d'accueil officiel du chef de l'Etat américain
par son homologue vietnamien, Trân Duc Luong.
Les autorités américaines qualifient cette visite, la première d'un président des
Etats-Unis à Hanoï, d'historique. C'est – enfin !, disent-ils – celle de la « réconciliation »
après tant d'années d'une guerre qui s'est terminée dans une humiliation assez durable
pour que Washington « punisse » le Vietnam pendant près de deux décennies en lui
imposant un embargo économique. C'est aussi, en fin de mandat, le couronnement des
efforts de Clinton, ancien pacifiste, pour tourner cette page et normaliser définitivement
les relations entre les deux pays.
Le gouvernement vietnamien se retrouve dans une situation bien différente. Il doit tenir
compte de ceux qui, au sein du Parti communiste, se méfient toujours des Etats-Unis,
qu'ils soient gouvernés demain par un républicain comme George W. Bush, donc jugé
ici sensible aux appels des milieux d'affaires, ou un démocrate comme Al Gore,
davantage lié à des syndicats américains qui font plus volontiers le procès des droits de
l'homme. Hanoï jauge également les réactions du grand voisin chinois, avec lequel le
Vietnam doit cohabiter et entretient, à l'égard de ses propres administrés, le message
selon lequel les réformes et l'ouverture du pays se poursuivent au rythme, prudent,
défini par un parti communiste dont le 9e congrès est prévu dans moins de cinq mois.
Créneau d'avenir
C'est sans doute pour ces raisons que les autorités ont choisi de donner peu d'éclat à
l'accueil de leur hôte américain tout en le voulant amical et en l'autorisant à s'exprimer
en direct à la télévision. Venue d'Israël, où elle a représenté son pays aux obsèques de
Leah Rabin – la veuve du premier ministre assassiné –, Hillary Clinton a attendu l'arrivée
de son époux et de sa fille en allant faire les magasins jeudi en fin d'après-midi dans le
vieux Hanoï, celui des « trente-six rues » commerçantes, où une petite foule, toujours
curieuse, lui a souri. Vendredi, la famille présidentielle américaine a visité, dans une
ambiance identique, le Van Miêu, le temple de la Littérature où des générations de
lettrés ont concouru pendant des siècles pour devenir les mandarins des dynasties
impériales.
Les médias vietnamiens n'ont publié que vendredi un portrait de Clinton, et les mesures
de sécurité ne sont guère apparentes, comme si les autorités entendaient faire
comprendre qu'elles n'étaient pas impressionnées par l'importance de leur hôte du jour.
Il est vrai que, même s'il ne s'agit plus que de lointains souvenirs, la population de
Hanoï a souffert d'une guerre qui a fait 3 millions de victimes vietnamiennes, dont 1
million de civils. La capitale n'a pas été épargnée par les bombardements américains,
et chaque famille y a donné un fils ou un parent, jamais revenus du « front ».
C'est dans ce contexte que Clinton entend ouvrir un créneau d'avenir entre les deux
pays. Une intention qu'il devait exprimer, notamment vendredi après-midi, à l'occasion
du discours télévisé en direct de l'université de Hanoï. Cet exercice est d'autant plus
délicat que l'Amérique le surveille, ce qui explique, entre autres, l'hommage rendu aux
quelque 58 000 Américains morts au Vietnam en assistant au rapatriement des restes
d'un militaire américain, samedi soir, avant de s'envoler pour une courte visite à
Hô-Chi-Minh-Ville, l'ancien Saïgon.
Toutefois, si le séjour de Clinton conserve son côté paisible jusqu'à son terme, il devrait
contribuer à rassurer les autorités vietnamiennes et à renforcer des échanges entre les
deux pays qui seront automatiquement stimulés, dès l'an prochain, par l'application d'un
accord commercial. Ce qui pourrait faire l'affaire de près de 80 millions de Vietnamiens
qui n'aspirent qu'à voir leur pays se construire en réintégrant le reste de la planète.
Par Jean Claude Pomonti - Le Monde, le 17 Novembre 2000.
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