Clinton·Hanoi, pour l'histoire
Le président américain, Bill Clinton, doit arriver ce soir à Hanoi pour une visite
officielle de trois jours au Vietnam. Cette visite est la première d'un président
américain depuis la fin de la guerre qui s'est soldée par une défaite américaine
mais aussi par la mort de 3 millions de vietnamiens et celle de 58 000 soldats
américains. Cette guerre a aussi eu pour conséquences tragiques la destruction
quasi totale d'un pays qui compte aujourd'hui 79 millions d'habitants.
Aujourd'hui, des enfants naissent avec des malformations provoquées par l' "
agent orange " largué par les bombardiers US sur leurs grands-parents... Mais
cette guerre a aussi laissé derrière elle une crise de société aux Etats-Unis
encore aujourd'hui vivace avec le fameux " syndrome vietnamien " : la crainte
devenue viscérale d'envoyer des " boys " se faire tuer dans une guerre à
l'étranger. Fait révélateur, Bill Clinton a déclaré avant de quitter Washington : "
Dans notre mémoire nationale, le Vietnam était une guerre. "
Lorsque l'on survole le Vietnam, les cratères des bombes larguées par les
avions américains et les forêts blessées par la guerre chimique sont encore
parfaitement visibles. Dans le même temps on découvre un pays en plein
développement. Ce sont ces deux visages que ne pourra pas manquer de voir
Bill Clinton.
Certes le chef de l'Etat américain n'est plus qu'un président sortant à la
recherche d'un accomplissement diplomatique pouvant couronner ses deux
mandats présidentiels successifs. Mais, et c'est un fait, il demeure, jusqu'au 20
janvier prochain, le représentant suprême de la plus grande puissance mondiale.
Et, même s'il n'est pas prévu qu'il présente ses excuses au peuple vietnamien
pour les souffrances que lui ont infligées les Etats-Unis, cette visite représente
néanmoins pour les Vietnamiens le couronnement d'une longue lutte pour leur
droit à être reconnus comme les autres nations.
Les enjeux de cette visite sont importants pour les deux pays.
" Mais le Vietnam est aussi un pays émergeant après cinquante ans de conflits,
de tourmentes et d'isolement et qui se tourne vers un monde très différent ",
avait ajouté Bill Clinton lors de son départ de la capitale américaine.
Bill Clinton a certes affirmé la semaine dernière que sa priorité était l'obtention
de données complètes sur les soldats américains portés disparus dans la
péninsule mais il a aussi dit qu'il souhaitait améliorer la coopération avec le
Vietnam. Une délégation commerciale américaine se trouvera au Vietnam en
même temps que Clinton.
Les milieux commerciaux américains espèrent en effet saisir cette occasion pour
" explorer " le marché vietnamien. " Le Vietnam a été pendant longtemps un
secret bien gardé dont les gens n'ont pas conscience, ils ne se rendent pas
compte des possibilités qu'il y a ici, de vastes possibilités ", a, par exemple,
déclaré Deborah Aronson, directrice générale de Ford Vietnam Ltd.
" La délégation américaine sera composée de près de 2 000 personnes, outre le
président, son épouse et leur fille, y compris sept membres du gouvernement,
trois hauts responsables, trente sénateurs et membres de la Chambre des
représentants, des hommes d'affaires. La délégation sera également
accompagnée d'environ 200 journalistes ", a écrit Thanh Nien, le quotidien de la
jeunesse vietnamienne. " Selon le programme, la délégation doit arriver à Hanoi
dans la soirée du 16 novembre. Durant son séjour dans notre pays, le président
W.J. Clinton s'entretiendra avec le président de la République Tran Duc Luong
et le premier ministre Phan Van Khai. Le secrétaire général du Parti communiste
(PCV) Le Kha Phieu recevra également le président Clinton ", a précisé le
quotidien.
A part cette indication, peu d'informations ont filtré dans la presse sur cette visite.
Les autorités vietnamiennes " gardent la prudence car elles ignorent l'attitude et
les déclarations que fera le président américain ", a estimé, selon l'AFP, un
responsable du bureau du Comité central du PCV.
Bill Clinton arrivera dans la capitale vietnamienne après avoir participé pendant
deux jours dans le sultanat de Brunei, sur la côte nord-ouest de l'île de Bornéo,
au sommet annuel des pays du Forum économique Asie-Pacifique (APEC
regroupant 21 pays limitrophes du Pacifique, soit les deux tiers de la population
mondiale). Une rencontre dominée par les discussions sur l'attitude à avoir face
à un nouveau round de l'OMC. Le prochain directeur général de l'OMC,
l'actuel ministre thaïlandais du commerce Supachai Panitchpakdi, a averti
mercredi que ce cycle pourrait dérailler si des objectifs trop ambitieux lui étaient
fixés. Il a appelé au " réalisme " les membres de l'OMC en soulignant : " Si vous
voulez mettre tous les dossiers ensemble, il pourrait devenir impossible, je dirais
infaisable, pour l'OMC de coopérer. "
Pour sa part, Bill Clinton a affirmé que l'Asie était devenue encore plus
importante aux yeux des Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide.
" Notre lien avec cette région est durable ", a-t-il dit en estimant : " Nos troupes
constituent ici une force de stabilité. Nous avons renouvelé notre alliance avec le
Japon. Nous avons travaillé pour préserver la paix dans les deux points les plus
chauds : le détroit de Taiwan et la péninsule coréenne. "
Par Michel Muller - L'Humanité, le 16 Novembre 2000.
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