~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Retour au Vietnam

Bill Clinton entreprend jeudi 16 novembre - et pour trois jours - le voyage le plus symbolique de sa présidence à Hanoï et à Ho Chi Minh-Ville, l´ancienne Saïgon, d´où, il y a vingt-cinq ans, l´ambassadeur américain s´enfuyait à la hâte juste avant l´entrée des chars communistes. La guerre du Vietnam a en effet meurtri, plus que tout autre conflit, l´Amérique du XXe siècle. Cinquante-huit mille de ses enfants y ont trouvé la mort, dont les noms sont gravés sur le célèbre Mémorial de Washington. Toute une génération s´est formée à la politique en s´opposant à cette aventure sanglante dans les rizières et sur les plateaux d´Indochine. Nombre de ses vétérans, aujourd´hui quinquagénaires, gardent au cœur l´amertume de leur jeunesse gâchée, loin de chez eux, dans les drames de ce combat douteux.

Un demi-siècle plus tard, l´Amérique semble avoir enfin exorcisé ce long épisode malheureux qui l´avait tant traumatisée, notamment grâce à ses cinéastes qui - de The Deer Hunter à Apocalypse Now - ont aidé toute une nation à comprendre les origines, les circonstances et les leçons de la guerre, à regarder en face sa tragédie vietnamienne, donnant l´exemple d´un travail de mémoire salutaire que la France, par exemple, est loin d´avoir accompli à propos de l´Algérie.

Il restait à l´Amérique officielle à tourner solennellement la page, ce qui est chose faite. Il est évidemment encore plus significatif que cet honneur échoie à l´homme qui, dans sa jeunesse, parvint à éviter de faire la guerre. Ce passé pacifiste, que Bill Clinton a tenté de faire oublier tout au long de sa carrière politique, fait de lui un « bon Américain » aux yeux du peuple vietnamien, qui a perdu trois millions des siens pendant le conflit. Elle le prédestinait à être l´homme d´une réconciliation amorcée avec la levée de l´embargo économique en 1994, l´établissement de relations diplomatiques un an plus tard, et la récente signature d´un accord commercial qui devrait être ratifié au printemps prochain.

La moitié des quelque 80 millions de Vietnamiens n´ont pas connu la guerre. Ils jettent un regard plutôt admiratif sur l´Amérique d´aujourd´hui, symbole pour eux de prospérité et de liberté individuelle. La visite de M. Clinton, que la vieille garde communiste entoure d´une grande discrétion, pourrait encourager les jeunes cadres à demander une accélération des réformes timidement mises en œuvre par un régime qui conserve jalousement le monopole du pouvoir, continue de réprimer les dissidents, censure la presse et mesure chichement les libertés religieuses aux bouddhistes et aux catholiques.

Les maîtres vieillis de l´appareil communiste redoutent les effets de la décentralisation économique qu´entraînerait une plus grande ouverture du pays aux lois du marché. Nul doute que Bill Clinton plaidera pour une libéralisation politique et incitera ses hôtes à accueillir plus largement les investisseurs américains aujourd´hui échaudés par la bureaucratie vietnamienne. Mais rien ne prouve qu´il sera, plus que d´autres, entendu.

Editorial - Le Monde , le 16 Novembre 2000.