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Clinton, 25 ans pour aller au Vietnam

Bill Clinton est arrivé aujourd'hui à Hanoï. Pour la 1ère fois depuis la fin de la guerre, en avril 1975, un président américain est reçu officiellement par le régime communiste. Il rencontrera les dirigeants vietnamiens vendredi et s'adressera à la jeunesse qui n'a pas connu le conflit.

Un petit rappel s'imposait pour ceux qui auraient tendance à l'oublier en cette période de crise électorale: les Etats-Unis ont un président. Jusqu'au 20 janvier 2001 il se nomme Bill Clinton et il entame aujourd'hui une visite historique au Vietnam.«Détendez-vous, respirez profondément», a-t-il lancé à ses concitoyens, en partant pour l'Asie. Le président américain pouvait difficilement s'éloigner plus des eaux troubles de la Floride. Le Vietnam se situe de l'autre côté du globe. Bill Clinton y sera reçu chaleureusement... grâce à une décision qu'il a passé le plus clair de sa carrière politique à faire oublier: éviter la guerre.

Bill Clinton est le premier président américain à se rendre au Vietnam depuis la fin du conflit, il y a 25 ans. Cette visite doit marquer les progrès réalisés par les deux anciens ennemis sur le chemin de la réconciliation. Elle fait suite à la levée de l'embargo économique américain sur le Vietnam en 1994, la réouverture de l'ambassade des Etats-Unis à Hanoi, un an plus tard, et la coopération des autorités vietnamiennes pour le rapatriement des restes de GI disparus au combat. Après un quart de siècle, il est temps que les relations bilatérales entre les deux pays dépassent les horribles souvenirs de la guerre, estime-t-on à Washington: 58 000 Américains ont péri pendant le conflit, 3 millions côté vietnamien. La relative absence de polémique aux Etats-Unis est significative des progrès réalisés par l'Amérique pour surmonter l'un des épisodes les plus sombres de son histoire récente.

Les visites au Vietnam de vétérans célèbres tels que John McCain, héros de la guerre devenu sénateur républicain de l'Arizona, ou le sénateur démocrate du Massachusetts, John Kerry, ont servi d'alibi à Clinton pour normaliser les relations avec le régime communiste de Hanoi. Et l'ambassadeur des Etats-Unis sur place, Pete Peterson, un ancien prisonnier de guerre, affirme que le Vietnam «coopère pleinement» avec les enquêteurs américains pour retrouver les restes des 2 000 GI toujours portés disparus. Aucune voix ne s'est donc élevée pour s'opposer à cette visite. Pour John Terzano, vice-président de la Fondation des vétérans américains du Vietnam, il s'agit de «mettre derrière nous un triste chapitre de notre histoire et de nous tourner vers l'avenir». Certains anciens combattants estiment en revanche que Bill Clinton n'était pas le bon président pour effectuer cette visite. Etudiant dans les années 60, il s'était opposé à la guerre et avait échappé au combat en rejoignant un programme d'entraînement pour officiers de réserve. Bill Clinton marchera donc sur la pointe des pieds. Le régime de Hanoi, qui insiste sur la différence entre «les bons Américains qui se sont opposés à la guerre et aux crimes» et «les méchants qui ont bombardé notre pays», ne manquera pas d'utiliser le passé de Clinton pour sa propagande interne. Le président américain n'évoquera pas ses sentiments personnels à propos de cette guerre. Il ne devrait pas non plus demander pardon pour la politique américaine de l'époque. Il devrait se contenter de reconnaître le traumatisme infligé par le conflit aux deux pays.

Pour la presse américaine, la volonté de surmonter le traumatisme de la guerre ne doit pas non plus aveugler l'administration. «Il y a 10 ans le Vietnam était sur la voie de la libéralisation économique et même politique, écrit le Washington Post dans un éditorial. En fait, les réformes économiques ont été timides. Le gouvernement continue à museler la presse, à contrôler les juges et à emprisonner les opposants politiques.» Le président américain consacrera naturellement une grande partie de sa visite au développement des relations économiques entre les deux pays. Mais il ne manquera pas non plus de distiller quelques bons conseils en encourageant le gouvernement à accorder plus de libertés religieuses et politiques à ses citoyens.

Par Patrick Saint-Paul - Le Figaro, le 16 Novembre 2000.


Le bon Américain et le méchant régime

HANOI - Il faut aujourd'hui fréquenter une des discothèques branchées du Vietnam pour s'entendre dire que le «bon Américain», c'est Bill Clinton. On vous le dira à Apocalypse Now, à Saïgon, où l'on a refoulé au fond de la mémoire les scènes de ce film de Francis Ford Coppola montrant les hélicoptères américains mitraillant un village vietnamien.

Sous les pales des ventilateurs évoquant celles des monstres volants, Bui Van Biet, 22 ans, joue les mauvais garçons en haussant des épaules: «On nous rabâche la guerre contre les Américains, mais elle ne nous concerne pas.» La moitié des 78 millions de Vietnamiens sont nés après la fin officielle de la guerre en 1975. Ils s'échangent les dernières vidéos piratées de films américains ou des combines pour obtenir une bourse d'études aux Etats-Unis.

Les jeunes filles se la jouent fleur bleue, captivées par Phuong Thao, «Herbe parfumée». C'est une chanteuse amérasienne, fille abandonnée d'un GI. Après la guerre, on maltraitait les enfants laissés par les Américains d'un quolibet: «Tête de canard, cul de poulet.» La chanteuse étoile d'Aladin, le cabaret à la mode chez les nouveaux riches de Hanoï, moulée dans son ao daï, la tunique féminine traditionnelle, murmure des chagrins d'amour qui déclenchent des avalanches de larmes, bouquets et dollars.

Attablé devant un cognac coupé à l'eau gazeuse, un hommes d'affaires lance: «Les Américains débarquent!» Cette fois, personne ne s'inquiète, car ces Américains, au nombre impressionnant de 2000, forment la suite d'un président qui, note le critique d'art Do Thi Phung Quynh, «a refusé de participer à la guerre, ce qui le rend plutôt sympathique». Ancien du Tribunal Russel sur les crimes de guerre américains, des années 60-70, aujourd'hui magistrat en retraite de la Cour suprême de Hanoï, Bui Huy Phung confirme: «Il n'y a plus d'animosité contre les Américains, l'heure de la réconciliation est arrivée.» Parfois, on rêve. Le Anh, Saïgonnaise d'une quarantaine d'années employée d'une société française, voit Clinton en magicien: il débloquera son visa pour des études aux Etats-Unis ou glissera un mot aux autorités pour empêcher l'expropriation de sa famille. Peut-être même pourra-t-elle enfin, grâce à lui, lire d'autres journaux que celui qu'elle lit à la sauvette chez son patron, le Bangkok Post. Les opposants au régime sont moins enthousiastes.

Au fond de la boutique familiale encombrée de layette et couches culottes dans une venelle de Hanoï, Lê Dat se tient tout droit dans son pyjama: ce poète de 72 ans est l'un des enfants terribles du Vietnam, qui «ont oublié la peur». Selon lui, le peuple vietnamien n'a rien à espérer de la visite du président américain. Ex-«poète réactionnaire numéro un», interné dans les camps de rééducation par le travail dans les années 60-70, il prévoit que «ceux qui nous dirigent peuvent y gagner en prestige, on se fera des courbettes, de vagues promesses sur les libertés confisquées et puis tout sera oublié».

«Le gouvernement vietnamienlimite sérieusement la liberté d'expression des dissidents et la liberté d'association des groupes religieux», rappelle l'organisation de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch, dans un rapport remis à Clinton.
Les sanctions, les brimades, les agents de la Sécurité qui épient faits et gestes des opposants découragent les vocations de héros. «La jeune génération est plus prudente, peut-être plus réaliste», constate le poète Lê Dat. Il a avec les autorités des contacts «mi-figue, mi-raisin». «En régime totalitaire, la peur est ce qu'il y a de plus avilissant», ajoute-t-il. Quand on veut parler politique, dit Le Anh, la Saïgonnaise, «on chuchote entre amis mais personne n'ose agir». «Le peuple vietnamien est apathique, il a trouvé sa tranquillité dans l'esclavage», juge pour sa part le prêtre rédemptoriste Chân Tin, de l'église Ky Dong à Saïgon.

Le poète Lê Dat se console avec le «privilège de l'âge: je suis passé de la liste noire à la liste rouge des espèces rares à protéger : il n'y a guère plus qu'un poète suranné comme moi pour s'intéresser à des chose futiles comme la démocratie». Le vieil homme malade tourne les pages d'un minuscule carnet écorné. Il y a consigné les noms et numéros de téléphone d'opposants eux aussi étroitement surveillés: Hoang Minh Chinh, qui a fait de la prison pour avoir propagé des écrits hostiles à l'omnipotence du parti, l'écrivain Duong Thu Huong, surnommée la «langue venimeuse de la dissidence», et quelques autres encore, enfermés pour leurs articles sur les tares du régime, ou pour «possession de propagande antisocialiste».

Les dirigeants vietnamiens ont peaufiné leur stratégie : ils n'arrêtent plus les gêneurs, ils les isolent. Ils épient, filtrent et coupent les communications téléphoniques, «amadouent les uns avec quelque gloriole, les prêtres avec une promesse de visa pour Rome», fulmine Chân Tin, 80 ans. «Mes amis ont peur de se faire repérer par les policiers qui rôdent dans l'église.» Les indomptables sont soumis à des méthodes plus musclées: en janvier 1998, Chân Tin et Nguyên Ngoc Lan, ancien séminariste, docteur en philosophie, ont été jetés au bas de leur moto à coups de pieds alors qu'ils se rendaient aux funérailles d'un ami. «Les policiers témoins de cet accident n'ont pas bronché», raconte Lan, l'ancien séminariste de 70 ans qui n'a plus, aujourd'hui, que la peau sur les os, «35 kg de détermination». Il trouve encore la force de rire sous cape en racontant la blague chuchotée dans le tout-Saïgon: «Clinton a refusé de se rendre au mausolée de Ho Chi Minh, le monument est donc fermé pour réparation annuelle, le temps de la visite.»

«Ainsi va le Vietnam, et le Vietnam va mal», conclut Lê Dat. Personne ne souhaite ni ne croit à une révolution. On préfère parler d'évolution. «La carapace semble intacte mais le régime n'a plus d'idéologie», estime Nguyen Ngoc Lan. Les stratèges de Hanoï sont passés du «dôc lâp», indépendance, premier slogan du régime, au «do la», prononciation locale du dollar. Les dirigeants «ont peut-être été des patriotes, mais ils ne sont plus que des caciques ignorants et cupides», ajoute Lê Dat, pour qui la corruption est partout. «Les procès font du bruit, mais se cantonnent aux fonctionnaires intermédiaires», regrette-t-il.

Pour tenter de croire à cette lente réforme, Chân Tin s'accroche à des détails: «Les journaux ne publient plus le panégyrique de Lénine pour les anniversaires de sa mort, il n'a plus le droit qu'à une photo et une minuscule légende.» Et aussi: «Les enfants de cadres du parti qui étudient aux Etats-Unis ou en Europe auront peut-être appris à penser»...

Par Frédérique Martin - Le Figaro, le 16 Novembre 2000.