~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

[Année 1997]
[Année 1998]
[Année 1999]
[Année 2000]
[Année 2001]

Retour humanitaire de vétérans au Viêt-nam

Bill Clinton entame aujourd'hui une très symbolique visite d'Etat de trois jours au Viêt-nam. Ce voyage est le premier d'un président américain depuis la fin de la guerre. Hanoi considère le retour des «Meo», l'équivalent vietnamien de «Yankees», en paix et venant avec des millions de dollars d'aide et de perspectives commerciales, comme une victoire finale. Des excuses américaines pour cette guerre qui avait fait trois millions de morts au Viêt-nam, dont un million de civils, sont refusées par les anciens combattants américains et les familles des 58000 morts américains du conflit.

GIO LINH (province de Quang Tri) - Une lande de buissons noueux s'étend au loin, jusqu'au pied de collines arrondies, de couleur ocre. Un fin rideau de pluie et de brume estompe les crêtes chauves. Ces hauteurs, bombardées de défoliant par les avions américains pendant la guerre du Viêt-nam, sont demeurées sans végétation. Vingt-cinq ans après la fin du conflit, la plaine terne que surplombent ces pentes stériles est toujours truffée d'obus, de bombes, de mines et de restes humains.

Nous voici à Charlie-One, ancienne base d'artillerie américaine, dont les canons pilonnaient les Viêt-congs infiltrés dans la zone démilitarisée séparant les deux Viêt-nams. C'est dans cette région de Quang Tri, au sud de l'ancienne ligne de démarcation, que se déroulèrent la plupart des combats de la guerre, entre 1965 et 1975. C'est aussi là que les B-52 déversèrent une bonne partie des 15 millions de tonnes de bombes et d'explosifs divers utilisés par les Etats-Unis durant le conflit (1). Champs de mines. Casqués et engoncés dans des cirés, une vingtaine d'employés vietnamiens d'une ONG de déminage britannique (Mines Advisory Group, MAG) sondent la terre spongieuse mètre par mètre à l'aide de détecteurs de métaux. Plusieurs champs de mines totalisant 120 hectares entourant Charlie-One sont à déblayer. En deux ans, MAG en a nettoyé un tiers, déterrant 132 mines, 4263 engins explosifs et trois corps de Viêt-congs. «Le long de la DMZ, explique David Denman de MAG, il y a comme ça des centaines d'hectares de terrain à déminer. A travers tout le Viêt-nam, il y en a tellement qu'il n'existe même pas de recensement à l'échelle du pays. Nous n'en sommes encore qu'au tout début.»

Le déminage de terrains devant être rendus à la vie civile (le «déminage humanitaire») est un domaine exigeant de grandes compétences techniques; l'armée vietnamienne, qui n'utilise souvent que des piques de bambou, ne dispose tout simplement pas des ressources suffisantes. Pourtant, seules deux autres petites ONG internationales de déminage sont à pied d'œuvre sur l'ancienne DMZ. Selon Hanoi, 350000 tonnes d'engins explosifs sont toujours enfouis au Viêt-nam, et plus de 102000 personnes ont été tuées ou blessées par ceux-ci depuis la fin du conflit. Les enfants tués ou handicapés se comptent par dizaines dans la bourgade voisine de Dong Ha. Des milliers de familles gagnent ici leur vie en récupérant le métal des armements laissés par l'armée américaine (généralement revendu au Japon). Le mois dernier, trois habitants de Dong Ha ont encore péri dans l'explosion d'une bombe que l'un de ces téméraires était en train de scier en deux. Dans toute la province de Quang Tri, on déplore chaque mois en moyenne quatre enfants handicapés par les explosifs.

Terribles bombardements. Un ancien combattant nord-vietnamien, le colonel Hong, 45 ans, surveille ce jour-là le déminage de Charlie-One. Il se souvient des terribles bombardements des B-52: «La seule chose à faire lorsque tombaient leurs bombes d'une tonne, c'était de s'allonger bouche ouverte, dos contre terre; car à plat ventre, le souffle terrible écrasait littéralement les poumons sous le poids du corps.» Avec d'autres vétérans bo-doï (soldats viêt-congs, ndlr) de Dong Ha, le colonel Hong a accueilli la semaine dernière un groupe d'une douzaine d'anciens GI's. Ce n'était pas la première fois que des vétérans US venaient se réconcilier avec leurs ex-ennemis. Une moyenne d'un groupe par mois visite le pays, et en particulier la DMZ. Mais pour la première fois, ils apportaient une carte dressée par leurs soins mentionnant des lieux où les forces américaines avaient tué des Viêt-congs en nombre. S'il reste quelque 1 500 Missing in action (MIA) américains au Viêt-nam, les «MIA» vietnamiens sont, eux, au nombre de 300000. Le geste a donc été apprécié, même si la méfiance demeure. «Il faut refermer le passé et regarder l'avenir, dit Hong avec un sourire. Les Américains doivent comprendre d'eux-mêmes qu'ils ont une dette envers le Viêt-nam. Mais le Viêt-nam ne mendiera jamais de compensations.» «Quand ils viennent ici, commente David Denman, les vétérans américains s'attendent à être reçus à coups de pierres par la population. Mais ils sont toujours très bien accueillis et repartent surpris et séduits.»

«Le jour où j'ai pu parler avec des Viêt-congs, sympathiser avec eux, a été un grand jour pour moi», raconte Suel Jones, un ex-GI qui a effectué des missions de combat sur la DMZ en 1968. Blessé deux fois, il explique «n'avoir réalisé que des années plus tard» qu'il avait «pris part à une guerre "immorale"». En Alaska, où il habite, il tente de recueillir des fonds pour des projets humanitaires au Viêt-nam. Mais, dit-il, «c'est très difficile de mobiliser les vétérans américains». Malgré tout, de plus en plus d'entre eux souhaitent s'impliquer. A Dong Ha, le Fonds américain des vétérans du Viêt-nam (VVAF) a construit en 1997 une école primaire de 200 élèves, équipée d'ordinateurs. Quelques vétérans viennent aussi de temps à autre planter symboliquement des arbres sur les terrains déminés du sud de la DMZ. Washington s'y est mis en offrant l'an dernier, pour la première fois, au ministère vietnamien de la Défense, quelque1,8 million de dollars affectés au déminage. Chuck Searcy dirige à Hanoi le bureau d'une autre association de vétérans, le Memorial Fund (qui a financé la construction du mur du mémorial à Washington). Il compte entamer bientôt des opérations de «déminage humanitaire», de réhabilitation des zones aspergées par l'agent orange (le défoliant contenant de la dioxine) par les avions américains, ainsi que la construction d'hôpitaux spécialisés pour les enfants nés malformés en raison de ce poison.

«Obligation morale». Installé à Hanoi depuis plusieurs années pour préparer le terrain, l'ancien officier de 56 ans a appris la langue - chose qu'il avait négligée lors de son séjour en tant qu'engagé, en 1968. «Ce n'est pas un sentiment de culpabilité qui m'a ramené ici, mais plutôt une sorte d'obligation morale très personnelle, explique-t-il. Le gouvernement américain a éludé pendant vingt-cinq ans ses responsabilités dans la guerre, les destructions et les dévastations qu'il a provoquées. A mon petit niveau, il m'a semblé important d'essayer de rendre au Viêt-nam ce qui lui est dû, et de le faire de manière constructive. Comme pour la plupart des vétérans, la guerre a été pour moi l'expérience la plus profonde de toute ma vie. Après avoir quitté le Viêt-nam, soulagé d'être en un seul morceau, je n'ai cessé de me remémorer mes amis américains et vietnamiens laissés derrière moi et la douleur infligée aux gens de ce pays. J'avais beaucoup d'amis vietnamiens lorsque je vivais à Saigon et, au travers des conversations que j'avais avec eux, j'avais commencé à sympathiser avec le dilemme qui était le leur.»

Colère et amertume. De fait, à peine rentré aux Etats-Unis, Searcy s'est engagé dans le mouvement pour la paix. «Au moment où j'ai quitté le Viêt-nam, j'étais rempli de colère et d'amertume car je savais à ce moment-là que le gouvernement américain n'avait rien compris à ce peuple, à sa culture et à son désir profond d'indépendance. Pour le jeune Américain patriote de 22 ans que j'étais, ce fut un grand choc. Et j'ai toujours su que je reviendrai un jour.».

(1) Soit environ 280 kg d'explosifs par habitant.

Par Philippe Grandreau - Libération - le 16 Novembre 2000.