Le dernier empereur d'Indochine ? Un riche Français
Un vieillard est mort discrètement, jeudi matin, à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, à Paris. Son existence mouvementée pourrait inspirer à quelque Bernardo Bertolucci un film intitulé « Le Dernier Empereur II » car le défunt ne fut pas que le souverain des boîtes de nuit de Cannes.
L'homme s'appelait Vinh-Thuy, mais il se fit nommer Bao-Daï, ce qui fait mieux quand on sait que cela signifie « Grandeur Retrouvée ». Il lui arriva, certes, de la perdre, par exemple en pactisant avec les Japonais en mars 1945, mais il la récupéra plusieurs fois, notamment en redevenant le maître du Vietnam de 1948 à 1955, après avoir été empereur d'Annam de 1925
à la fin de la seconde guerre mondiale.
A peine moins fascinant que ses « collègues » le Négus, Hiro Hito et le Shah, Bao Daï est décédé à 83 ans, loin de la cité impériale d'Hué, de Ho-Chi-Minhville et des titres de « prince citoyen » et de « conseiller suprême » du chef du Vietminh qu'il avait eu la faiblesse d'accepter, croyant sauver son trône. C'était en 1945 avant une fuite prudente, à Hong Kong, sous prétexte d'une mission en Chine et, trois ans après, l'idée parisienne que l'ex-empereur était une carte à jouer pour gagner la partie indochinoise.
Mais le pantin n'excellait pas au poker américain et ce fut en 1955 le dernier chapitre, doré : quarante-deux ans à jouir en France de sa fortune après l'éviction par Ngo Dinh Diem et un référendum truqué. Exil d'autant plus agréable que le viveur était de longue date tout pétri de la culture du protectorat : par ses études (Condorcet, sciences po), ses deux mariages, sa conversion au catholicisme... et ses divertissements faroukiens.
Les mondanités et les valses-hésitations de Bao, que l'oncle Ho envisagea même de rappeler en 1968, n'inspiraient qu'un scepticisme goguenard. Mitterrand, agacé, avait eu ce mot désabusé : « Nous avons attribué l'indépendance complète au Vietnam dix-huit fois, il est temps de l'accorder encore une fois, mais pour de bon. ». Jean-Marie Le Pen a été, hier, plus lyrique et louangeur du « bon vieux temps des colonies » : « La fin discrète et sereine de l'empereur constitue un événement d'une grande tristesse pour tous ceux qui gardent au coeur la délicate nostalgie de l'empire français. ».
Jean Claude Broché, LE SOIR le 2 Août 1997.
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