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Un suisse en face de Bouhhda

Guerres et colonisation ont marqué l'histoire commune du Vietnam et de l'Occident. Pourtant, même au plus fort du régime communiste, le nom d'un scientifique franco-suisse n'a jamais cessé d'être vénéré comme un bienfaiteur du pays. On l'appelait Monsieur Nam.

Pour nous, Vietnamiens, le Dr Yersin est l'un des bienfaiteurs du pays. Il est toujours vénéré, ici, un peu comme Hô Chi Minh!» Avec la douceur de son phrasé asiatique, la directrice du Musée Yersin à Nha Trang (ville balnéaire à 400 km au nord de Hô Chi Minh-Ville) ne tarit pas d'éloges. Alexandre Yersin est l'une des rares figures occidentales respectées dans l'ensemble du pays. Une vénération partagée tout particulièrement par le village de Suoi Cat, à 20 km de là, où est enterré le médecin vaudois.

Inlassable découvreur

La gratitude envers ce dernier est si profondément ancrée que chaque grande ville possède une rue au nom d'Alexandre Yersin. Privilège exceptionnel que le savant franco-suisse partage avec un autre illustre scientifique, dont il fut lui-même l'élève, le Français Louis Pasteur. Une distinction d'autant plus exceptionnelle lorsque l'on sait qu'après les guerres contre les Français, puis les Américains, les noms étrangers furent systématiquement effacés dans les rues, les places ou les musées vietnamiens. A deux ou trois exceptions près.

Mais qui est donc ce fameux Alexandre Yersin, connu essentiellement pour avoir découvert le bacille de la peste? Par une curieuse coïncidence de l'histoire, l'homme est né en 1863, année du lancement du mouvement de la Croix-Rouge, initié lui-même par un autre Suisse (Henry Dunant) ayant marqué l'histoire du mouvement humanitaire. De son enfance entre Aubonne et Morges ne restent que quelques photos de famille: un père entomologiste et une mère d'origine française (ce qui lui permettra de reprendre la nationalité française en 1888).

Elève curieux, Alexandre Yersin passera son baccalauréat à Lausanne avant de poursuivre ses études en Allemagne. A Paris, dès 1885, il montre son intérêt pour la chirurgie tout en s'émouvant devant la souffrance des enfants. Préparateur à l'Ecole normale supérieure, il rédige sa thèse en médecine et sera le découvreur, en compagnie d'Emile Roux, de la toxine diphtérique. Il entre alors à l'Institut de Louis Pasteur, le fondateur de la microbiologie, dont il sera l'élève, le disciple puis le prolongateur en Asie du Sud-Est.

Aventurier tout court

D'aventurier de la science, Alexandre Yersin va se faire aventurier tout court. En 1889, l'Exposition coloniale à Paris le séduit: l'année d'après, c'est le grand départ pour Saigon. A partir de Nha Trang - ville à laquelle il restera attaché pendant un demi-siècle jusqu'à sa mort le 1er mars 1943 - Yersin va effectuer trois expéditions dans la jungle indochinoise qui l'amèneront d'abord jusqu'au delta du Mékong (vers le sud), puis à travers des montagnes difficiles d'accès jusqu'à la frontière du Laos. C'est ainsi qu'il découvre à 1500 m d'altitude le site de Dalat, ville qui sera fondée peu après pour devenir la station de villégiature en altitude des colons français.

Ses premières expéditions permettront au jeune aventurier de faire étalage de son génie protéiforme d'homme de science, de géographe (cartographie de la région), de climatologue, d'agronome, d'ethnologue ou encore de photographe. Ses photos des ethnies minoritaires des hauts plateaux du Mékong, seront publiées dans nombre de revues scientifiques: elles font aujourd'hui encore référence.

Découverte cardinale

Revenu à Nha Trang, le médecin franco-suisse n'aura de cesse de parcourir la région du Sud-Est asiatique à la recherche de nouvelles plantes destinées à prévenir des maladies ou à mettre au point des vaccins. Sa découverte la plus connue reste celle du bacille de la peste. Envoyé par le Gouvernement français à Hong Kong, en 1894, où sévissait la peste bubonique, Yersin réussit le premier à isoler le bacille de la peste. Une première mondiale qui orientera sa vie, avec la fondation de l'Institut Pasteur de Nha Trang en 1895. Dans cet institut, durant un demi-siècle, il achèvera une cinquantaine de grandes études, dont 12 sur la peste et 10 sur l'agriculture. Il introduisit notamment au Vietnam l'arbre producteur de la quinine, seul antipaludéen alors disponible, mais aussi l'hévéa (voir ci-dessous).

Monsieur Nam

Décédé en pleine guerre, en 1943, Yersin fut enterré au milieu des gens qui l'avaient adopté en lui donnant le surnom de Monsieur Nam. Un enterrement qui pris l'allure de deuil pour tout le petit peuple de la région de Nha Trang auquel Yersin s'était dédié durant 50 ans. Aujourd'hui encore, la dévotion au savant proche des petites gens est grande: dans une pagode du village de Suoi Cat, le portrait de Yersin fait face à celui de Bouddha au milieu des bâtonnets d'encens. Beaucoup le considèrent comme un «bodhisattva», à savoir une figure humaine (dans le panthéon bouddhiste) qui a atteint la béatitude éternelle mais demeure encore sur terre pour le service et le salut des hommes.

Disparu en pleine guerre, le souvenir de cet homme de science frugal, resté célibataire, aurait pu disparaître avec la fin de l'empire colonial français. Tel ne fut pas le cas, la figure d'Alexandre Yersin demeurant indissociable du développement des Instituts Pasteur en Asie du Sud-Est (Nha Trang, Saigon, Phnom Penh, Vientiane).

Patrimoine à valoriser

Pourtant, il fallut attendre la mise sur pied d'une Association des amis d'Alexandre Yersin, il y a dix ans, pour voir le legs de son oeuvre enfin mis en valeur. De là, la création récente d'un musée à son nom et l'attribution du titre de patrimoine national à son héritage scientifique mais aussi à ses effets personnels. Un lieu de pèlerinage international aussi puisque «les visiteurs du Musée Yersin sont essentiellement suisses et français», relève la conservatrice des lieux.

Le malheur a voulu que la fameuse maison du Dr Yersin, son laboratoire historique, fut emportée au début des années 70 sous les coups des cyclones tropicaux. Mais la renommée que son nom a définitivement accolée à la ville de Nha Trang est toujours présente. Un attachement véritablement mutuel. C'est ainsi que Yersin décida de rentrer d'Europe - alors en pleine guerre - pour s'éteindre au milieu de ceux qu'il considérait comme sa véritable famille d'adoption: les petits pêcheurs de mer de Chine.

Par Pascal Baeriswyl - La Liberté (.ch) - 26 Février 2003.


L'homme de la quinine et du caoutchouc

A 400 km au nord de Hô Chi Minh-Ville, la baie de Nha Trang aligne en ombres chinoises, au soleil couchant, son chapelet d'îles tropicales. Une sorte d'avant-goût de la célébrissime baie d'Along, située 1000 km plus au nord. A une vingtaine de kilomètres de Nha Trang, dans la moiteur de la campagne rizicole, la sépulture de la personnalité étrangère la plus respectée au Vietnam repose, seule, au sommet d'une petite colline boisée. Simple mais bien gardée, car on ne rend pas visite à la tombe du savant sans escorte! Protégé par une double enceinte, un long chemin d'accès et une entrée cadenassée, le lieu pousse à la méditation sur ces pionniers solitaires qui ont choisi, un jour, l'aventure au loin plutôt que le confort de leur terre natale. Sur la pierre tombale figure une liste de distinctions officielles. Une ironie de l'histoire, aussi, pour quelqu'un d'indifférent à la gloire et aux honneurs - honneurs auxquels eut droit le chercheur de son vivant déjà, puis encore à titre posthume. La liste se termine par l'appellation de «Bienfaiteur et humaniste vénéré du peuple vietnamien», précédée de peu par la mention de l'introduction de l'arbre producteur de la quinine (antipaludéen), mais aussi de l'hévéa (l'arbre à caoutchouc).

Découverte à succès

C'est ainsi qu'à quelques encablures de la tombe vieille de 60 ans, les plantations d'hévéas introduites par Yersin continuent aujourd'hui encore de produire une matière première de choix. Un caoutchouc naturel dont le premier acheteur fut au lointain temps des colonies la firme... Michelin. Grâce à son sens inné pour allier recherche scientifique, progrès social et ressources financières, le médecin-agronome envoya à partir de 1905 des tonnes de caoutchouc destinées à l'industrie automobile. Dans les années 1930-40, ces plantations produisaient une centaine de tonnes par an, assurant une part importante du financement de l'Institut Pasteur de Nha Trang (fondé et dirigé par Yersin). L'introduction de la plante originaire du Brésil, qui s'est par la suite propagée à l'ensemble du pays, fut donc à la source de ce qui est aujourd'hui encore une industrie de pointe de l'économie vietnamienne.

Par Pascal Baeriswyl - La Liberté (.ch) - 26 Février 2003.