Hanoi redécouvre son patrimoine urbain et colonial
La crise financière asiatique a contribué,
dans la capitale du Vietnam, à privilégier désormais la
sauvegarde des bâtiments et des perspectives légués par la
présence française en Indochine.
HANOI - Madame Toàn n'ira pas au 87, Ma May. Architecte et responsable
politique de la gestion du quartier ancien, Tô Thi Toàn, députée à
l'Assemblée nationale, qui nous reçoit dans son bureau du vieux
Hanoï, entre des piles de dossiers et un ordinateur neuf, a renoncé
pour le moment à installer son service d'une dizaine de personnes
dans la première maison qui vient d'être restaurée rue Ma May. Trop
de succès, trop de visiteurs. Il faudra attendre un deuxième chantier
pour déménager.
Si la maison de la rue Ma May n'est pas plus large que ses voisines,
elle respire désormais. Balustrades ajourées, pièces aérées entre
deux cours, volets et auvents de bois brun vernis, une succession de
volumes simples pénètre à l'intérieur de l'îlot. Entre la salle de
réception sur la rue et ce
qui fut la cuisine, après
la deuxième cour,
vivaient cinq familles, qui
ont été relogées. C'est
une maison-tube, selon
un principe transposé de
la campagne à la ville :
certaines, toujours
étroites, peuvent
mesurer jusqu'à 50,
60 mètres de long.
Maison modèle où se succèdent, en se donnant le mot, les Français
en mission ou de passage à Hanoï, c'est à la ville de Toulouse que
l'on doit ces travaux : un chantier de quelque 600 000 francs, financé
dans le cadre de la coopération internationale et conduit par les
étudiants de l'école d'architecture de la métropole du Sud-Ouest en
liaison avec leurs homologues vietnamiens. Après deux ans de
recherches en archives et plusieurs mois de travaux, le résultat
intrigue les voisins, qui n'hésitent pas à se poser sur le pavé frais
pour une partie de mahjong. Espace libre, si rare dans ce quartier.
JALONS DE COOPÉRATION
La France n'est pas le seul partenaire de ces projets : le Japon,
l'Australie, la Suède ont répondu aussi aux appels d'offres du comité
populaire (mairie). Mais avec la maison restaurée de la rue Ma May,
les Toulousains ont marqué des points.
« Plutôt que de disperser les efforts, et d'en perdre les bienfaits, il
vaut mieux les concentrer ; alors cela rayonne », note le professeur
Doan Nhu Kim. Conseiller du recteur à l'Ecole nationale supérieure
du génie civil, enseignant d'histoire de l'architecture, il est aussi
responsable d'une filière francophone pour l'ingénierie : une trentaine
d'élèves par session suivent leurs études en français, jusqu'à la
thèse, avec l'aide de l'Agence universitaire de la francophonie et une
école de Bruxelles. Selon le même principe, le professeur Doan Kim
envisage de créer une filière architecture avec l'école de Toulouse.
Côté urbanisme, c'est le conseil régional d'Ile-de-France qui étudie le
financement d'un institut de formation, où l'enseignement serait
dispensé en vietnamien par des spécialistes français.
Des jalons de coopération posés avec les villes de Lille, de Lyon, ou
l'Etat avec l'impulsion et l'aide de l'ambassade de France ont pour
fond de décor une attitude nouvelle envers le patrimoine, « idée neuve
au Vietnam », note François Gauthier, conseiller culturel français,
quand on sait combien les civilisations orientales ont du respect du
passé une notion parfois plus intellectuelle que matérielle.
Même si l'on compte à Hanoï plus de 240 bâtiments classés,
notamment de très beaux ensembles de temples et de pagodes,
c'est la forme urbaine générale de la métropole, façonnée par
soixante-dix ans de colonisation française, qui retient aujourd'hui
l'attention. Conservée paradoxalement intacte par trente ans de
guerre et de communisme, elle risquait de résister moins bien à
d'autres changements.
A partir de l'ouverture économique du pays en 1985 et surtout dans
les années 90, des investissements étrangers venus de Thaïlande ou
de Singapour sont arrivés en force : aujourd'hui, les grands hôtels ou
les immeubles de bureaux hors normes, écrasant de leur hauteur
prétentieuse et médiocre cette ville-jardin ordonnée autour de parcs,
de perspectives arborées et de grands lacs, restent vides et
subissent le contrecoup de la crise. Cette fragilité a sans doute
favorisé un retournement des esprits et la prise en compte par les
autorités d'une politique urbaine plus sage à l'égard des sites et des
paysages d'une métropole où l'héritage colonial est loin d'être
anecdotique.
Le succès auprès du public et des responsables politiques de la
réhabilitation de l'Opéra (avec l'aide d'experts français et italiens mais
un financement vietnamien) a été décisif, même si elle s'est
accompagnée de la construction d'un hôtel néo-baroque qui ne fait
pas l'unanimité. C'était en prévision du sommet de la francophonie en
1997, et sans doute le regard international aidait-il à mieux
considérer les richesses existantes. « La France a été la première à
revenir après l'effondrement russe et bénéficie de la sympathie des
Vietnamiens, qui apprécient son image culturelle forte », estime
Bernard Pelletan, qui préside une Alliance française qui, avec
26 professeurs, reçoit 1 400 élèves.
Depuis le livre-inventaire d'Arnauld Le Brusq, qui paraît maintenant
(mais son enquête avait commencé en 1993), et l'action conduite
dans ces années-là par une association présidée par le journaliste
Philippe Sainteny et animée par l'architecte Cuong Lê, l'attitude
générale à l'égard de ce patrimoine a changé.
CITÉ BALNÉAIRE
Un schéma directeur limitant les dépassements de hauteur a été
promulgué en 1998, des brochures (en anglais, réalisées avec les
Canadiens) circulent qui présentent sur le même rang le patrimoine
bouddhiste et les quartiers résidentiels de l'époque coloniale. La
plupart des édifices majeurs sont utilisés, certains sont repeints pour
suivre l'exemple de l'hôtel Métropole (1901), rénové en 1992.
Certaines grandes villas de l'époque coloniale - historicistes dans les
années 1910, modernistes dans les années 1930 - qui donnent à
Hanoï un air de cité balnéaire noyée dans une galaxie de verdure
commencent à être dégagées des appentis et ajouts qui les
encombraient.
« Il y a dix ans, le patrimoine colonial n'était pas considéré », note un
jeune urbaniste français. « Aujourd'hui, le comité populaire - la
mairie -, qui siège dans un bâtiment des années 70, demande à la
ville de Paris de les aider à le retransformer. » Il y a aussi des
demandes concernant le pont Paul-Doumer, « monument » de
l'architecture du fer et symbole en mauvais état qui nécessiterait des
travaux et un mécène. En attendant, l'Alliance française envisage de
s'installer dans l'ancienne Imprimerie d'Extrême-Orient, qui date des
années 30, signant d'un trait d'encre la coopération nouvelle.
par Michèle Champenois - Le Monde -, le 8 janvier 2000.
|