Aussi loin que porte le regard bouillonnent les eaux du
Mékong
AN PHU - Au coeur du delta submergé, Nguyen Van Huynh vit perché
sur son toit depuis plus d'un mois et, à part quelques provisions de riz, son bien le plus précieux est le
canot de bois qui lui permettra de rejoindre la terre sèche la plus proche, à six heures de là.
Huynh partage le maigre espace avec sa femme et quatre enfants.
Autour d'eux, aussi loin que le regard puisse porter, tourbillonnent les eaux les plus hautes que le delta du Mékong ait jamais
vues depuis 40 ans.
"Comme je ne peux pas cultiver mes champs de riz, il reste à s'asseoir et pêcher", raconte le paysan, philosophe.
Il a perdu toute sa récolte plantée en juillet. Mais il ne partira pas: "L'eau continue de monter, mais c'est ici notre maison".
La quasi-totalité des 34.000 habitations du district d'An Phu, dans la province méridionale d'An Giang --la plus sinistrée--, est
sous les eaux. On ne peut y accéder que par des barques.
Les grands axes routiers de la province, à 200 km au sud-ouest de Ho Chi Minh-Ville, très endommagés, sont devenus de
vrais canaux marécageux. Même en ville, on voit des familles pagayer le long des rues.
La crue historique du Mékong a été provoquée par des pluies de mousson diluviennes qui sont tombées dès la fin juillet, bien
en avance de la saison humide.
Au delà, des experts de l'ONU ont attribué la violence des inondations en partie à la déforestation intensive des dernières
années dans la région, où la couverture forestière a fondu de 70% en 1945 à 25% en 1995.
Parmi les autres causes, ils ont cité la diminution du nombre des rivières et la réduction du réseau d'irrigation, le défrichage des
terres vierges, une urbanisation rapide et des précipitations anormalement élevées et fréquentes.
Les inondations ont fait à ce jour 73 morts au Vietnam (137 au Cambodge voisin), pour la plupart des enfants noyés, selon le
dernier bilan officiel.
Au total, on dénombre plus de deux millions de sans-abri dans sept des douze provinces du delta.
La situation humanitaire et économique y est potentiellement désastreuse car le delta, densément peuplé (16 millions
d'habitants), est le "grenier à riz" du Vietnam.
Si les eaux ont amorcé leur décrue dans le nord du Cambodge et au Laos, le pire pourrait encore venir au Vietnam où la crue,
gonflée par les précipitations saisonnières, doit persister jusqu'à la fin octobre.
"L'eau monte toujours, mais plus lentement qu'avant", se réjouit Dinh Quang Tri, un fonctionnaire d'An Phu, le district le plus
déshérité de la province.
Jamais elle n'a atteint un tel niveau --4,90 mètres dimanche-- depuis les grandes crues de 1961, dit-il. Jamais les dégâts n'ont
été aussi dévastateurs.
"Et même quand les eaux baisseront, nos problèmes ne seront pas terminés pour autant. Il faudra peut-être des années pour se
relever", s'inquiète Nguyen Minh Hai, le chef des services sociaux locaux.
Il a calculé le montant des dommages matériels, rizières, routes et maisons, pour le seul district, à près de 34 milliards de
dongs (2,4 millions de dollars). Quand une famille paysanne d'An Phu ne gagne en moyenne pas plus de 250 dollars par an !
Tous les plants de riz sont détruits.
En outre, les autorités craignent des épidémies de paludisme, de dengue, une fièvre infectieuse tropicale, et de diarrhées une
fois la décrue passée.
"Avant de rapatrier ceux que nous avons évacués, il faut nous assurer que tout est sûr et qu'ils peuvent subvenir à leurs
moyens. C'est un énorme boulot", soupire le fonctionnaire.
Probablement il ne sera pas terminé avant des semaines, sinon plusieurs mois.
Agence France Presse, le 24 Septembre 2000.
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