La guerre du Vietnam, du côté des photographes du Nord
HANOI- De la guerre du Vietnam, la mémoire collective garde une foule d'images choc, des photos qui ont la
particularité d'avoir été prises par un seul camp, celui des Sud-Vietnamiens et des étrangers. Vingt-cinq ans plus tard, on
découvre les clichés de photographes nord-vietnamiens, restés quasi-inconnus en dehors de la presse communiste.
Des Vietnamiens affolés escaladant le mur de l'ambassade américaine. Un hélicoptère US décollant, alors que des grappes de
désespérés tentent encore d'embarquer. Ces images de la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, ne reflètent qu'un seul côté de
l'histoire.
Dans le camp d'en face, un trio des plus grands photographes de guerre nord-vietnamiens ouvre, 25 ans après, un tout autre
livre d'images. Leur photos, extraites d'albums et de dossiers poussiéreux, racontent, elles, la joie de la conquête de Saïgon,
aujourd'hui Ho Chi Minh Ville.
Dinh Quang Thanh, qui suivit un char du Viet Minh jusqu'aux marches du palais présidentiel, a saisi les foules saïgonnaises
couvrant de vivats et vivres les soldats du Nord.
''Nous écoutions la radio sud-vietnamienne, qui disait qu'il y aurait un bain de sang si les communistes prenaient le pouvoir.
Nous savions que c'était de la propagande, et je voulais montrer la vérité avec mon appareil'', explique Thanh, retraité de 64
ans.
La ''vérité'': quatre soldats se ruent à l'intérieur du palais pour y hisser le drapeau victorieux, ou encore les ministres et soldats
du Sud, l'air résigné mais pas effrayé.
Les photographes nord-vietnamiens ont partagé l'impitoyable dureté de cette guerre de la jungle, combattants à part entière.
''Je me considérais comme un soldat, l'appareil photo était mon arme'', ajoute Thanh.
Les journaux du Nord n'ont certes jamais publié les images qui auraient pu mettre à mal l'effort de guerre. Mais ces
photographes estiment que leur travail rend parfaitement compte des terribles souffrances endurées pendant cette guerre, qui fit
trois millions de morts, Nord et Sud confondus.
Trong Thanh a quant à lui arpenté pendant cinq ans la piste Ho Chi Minh, cette légendaire voie d'approvisionnement en
hommes et armes pour les combats du Sud. Il portait trois énormes appareils, 400 pellicules, tout son matériel de
développement, et gardait ses négatifs sur lui jour et nuit...
''Les Américains bombardaient parfois 24 heures sur 24. Vous ne saviez jamais quand il faudrait décamper. Beaucoup de
photographes ont perdu leurs films et appareils à cause de ça'', explique Trong Thanh, 58 ans, qui a parfois abandonné derrière
lui vivres ou vêtements, mais jamais son matériel.
Mai Nam, 69 ans, a photographié ces tunnels souterrains qui furent si important dans la victoire du Nord. Bientôt privé de
flash, c'est à la lumière du feu de poudre à balles qu'il prit ses clichés. D'où cette étrange lueur qui éclaire ce monde étroit...
''Nos appareils étaient vieux, pas très bons. Les pellicules venaient de Russie, elles étaient périmées. Et garder le matériel sec
dans ce climat humide était très dur.''
Aucun d'entre eux n'a attendu reconnaissance ou fortune d'un travail quasiment jamais montré dans le monde non-communiste.
Mais les choses changent. En 1997, deux photographes de l'époque, l'indépendant Tim Page et Horst Faas, aujourd'hui éditeur
à l'Associated Press, ont publié ''Requiem'', livre-hommage aux photojournalistes des deux camps morts dans le conflit.
De son côté, Trong Thanh connaît aujourd'hui le succès, en tout cas à l'aune de ces modestes photographes nord-vietnamiens:
il a publié deux livres, l'un aux Etats-Unis, l'autre au Japon.
Sa photo préférée n'a jamais été publiée pendant la guerre: un soldat du Nord, agenouillé, partage sa ration avec un soldat du
Sud, blessé, en 1971. Ses censeurs refusèrent cette image, qui aurait pu ''affaiblir l'esprit combattant''. Et humaniser l'ennemi.
Exposée pour la première fois en 1991 aux Etats-Unis, elle choqua de nombreux Américains ayant connu la guerre, qui la
jugèrent forcément truquée...
Par Greg Myre - Associated press, le 24 Avril 2000.
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