Guerre du Vietnam: Les Vietnamiens continuent à chercher leur morts


DONG HA - Lorsque Duong Thi Hieu a enfin appris où était enterré son frère aîné mort pendant la Guerre du Vietnam, elle a traversé la moitié du pays pour se rendre dans un cimetière comportant des milliers de tombes anonymes, et sans personne pour l'aider dans sa quête. Cette femme frêle âgée de 61 ans, debout au milieu de l'immense cimetière militaire installé sur une colline de Dong Ha, dans la province de Quang tri (centre), explique qu'elle n'a appris qu'en 1977 que son frère avait été tué en combattant les Américains en 1968.

"Tous ce que les papiers officiels disaient était qu'il était dans la province de Quang tri", ajoute-t-elle en regardant les dizaines de rangées de tombes identiques en ciment gris qui portent chacune le terme Liet Si -- martyr. Il lui a fallu des années pour réunir assez d'argent pour entreprendre le voyage pour rendre hommage à son frère mort il y a 32 ans, dit-elle. Mais lorsqu'elle est arrivée sur place, les responsables lui ont expliqué qu'ils ne trouvaient pas trace de son frère dans leurs registres. Seules 5.000 tombes portent un nom, 4.000 autres portent la mention "soldat inconnu". Un membre de sa famille qui l'a accompagnée depuis la province de Ha Tay, proche de Hanoï, est revenu d'un autre cimetière avec les mêmes nouvelles.

Duong Van Lam, un membre du groupe venu de Ha Tay, affirme que les informations transmises par les autorités "ne sont pas exactes". L'avis concernant son frère ne lui est parvenu que le mois dernier et ne mentionne lui aussi que la province de Quang tri, sans préciser le cimetière. La province comporte 72 cimetières, dont deux nationaux.

Le groupe de parents a réuni 10 millions de dongs (714 dollars), une petite fortune dans un pays où le revenu moyen annuel par habitant atteint tout juste 300 dollars, pour parcourir les 600 km de Ha Tay à Quang Tri où se trouvait pendant la guerre la zone démilitarisée qui séparait le Nord-Vietnam du Sud-Vietnam. La province touchait également la piste Ho Chi Minh, la route de ravitaillement du Nord vers les guérillas du Sud, objet de bombardements américains massifs pendant la guerre. Le cimetière de Dong Ha et l'immense cimetière de Truong Son (cimetière de la Piste Ho Chi Minh) avec ses 10.322 tombes, situé dans les montagnes proches de la frontière du Laos, contiennent les corps regroupés au cours des dernières années depuis les cimetière improvisés installés pendant la guerre.

"Quelqu'un devrait être chargé d'aider les familles dans leurs recherches", ajoute Duong Van Lam. "Ils disent que si l'on paye, et seulement si l'on paye, il est plus facile de savoir", dit-il d'une voix masquant mal sa colère. De tels récits sont publiés régulièrement par la presse officielle, sous forme de lettres de parents des soldats morts. Le gouvernement, qui célèbre depuis le début du mois le 25ème anniversaire de la fin de la guerre, estime qu'un million de soldats vietnamiens sont morts - près de 20 fois plus que de soldats américains dont 58.000 ont été tués au Vietnam.

Aucune tombe des soldats de l'armée du Sud-Vietnam n'est visible dans la région de Dong Ha, qui faisait partie du Sud-Vietnam pendant la guerre. "Les gens ont peut-être installé des tombes chez eux", suggère un guide du Comité populaire local. Dans le cimetière de la piste Ho Chi Minh, installé dans la montagne et entouré de pins, une entreprise fait des heures supplémentaires pour rénover les tombes et remplacer les petits pots de faïence bleue contenant des bâtonnets d'encens placés devant chaque tombe. Il s'agit d'être prêt pour les grandes cérémonies qui marqueront, le 30 avril, la chute de Saïgon, la fin de la guerre et la réunification du Vietnam.

Sur une seule tombe, un petit bouquet de chrysanthèmes jaunes indique que quelqu'un a fini par retrouver un membre de sa famille.

AFP, le 24 Mars 2000.


L'héritage de la guerre du Vietnam subsistera encore des années


DONG HA - Depuis un surplomb, Wolfram Schwope observe le terrain qui abritait il y a 25 ans une base américaine d'artillerie et où des démineurs équipés de détecteurs de métal s'activent fébrilement. Le Vietnam célèbre depuis le début du mois le 25e anniversaire de la fin de la guerre du Vietnam et de sa victoire contre les Etats-unis, mais "il faudra encore des années" pour venir à bout de l'héritage de la guerre et détruire les milliers de mines, d'obus et de bombes non-explosés, affirme M. Schwope.

L'équipe de déminage de M. Schwope, financée par l'Allemagne, l'une des trois équipes à l'oeuvre dans la région, travaille depuis deux ans dans la province de Quang Tri (centre), site de la zone démilitarisée séparant le Nord-Vietnam du Sud-Vietnam pendant la guerre. Chaque mètre carré de la terre des champs encore en friche doit être passé au crible pour en extraire des bombes remplies de flechettes, des vieux obus d'artillerie, des mines et autres munitions. Des militaires vietnamiens mis à la disposition de M. Schwope progressent lentement dans la chaleur de l'après-midi sur un terrain de l'ancienne base américaine de Ai Tu.

"Un démineur ne peut faire qu'une seule erreur dans sa vie", dit M. Schwope en touchant un morceau de bois pour conjurer le sort. "Nous n'avons pas eu d'accident jusqu'à présent" dans cette équipe de 47 personnes accompagnée en permanence par un médecin, ajoute-t-il. La population locale -- les paysans, les ouvriers constructeurs de routes et les enfants qui mènent les buffles aux champs où recherchent des morceaux de métal rouillé -- semble avoir moins de chance. "Ils me disent qu'il y a un accident par semaine", précise M. Schwobe, un Berlinois.

A l'hôpital d'Etat de Dong Ha, l'ancien professeur de litterature Hoang Dang, qui coordonne à Quang Tri un programme de Handicap International, explique qu'il ne dispose pas de statistiques sur les victimes des mines et des munitions qui continuent a prélever un lourd tribu 25 ans après la fin de la guerre qui s'est achevée en avril 1975. Mais depuis le début du programme il y a six ans, son unité de réhabilitation a posé 541 prothèses, fourni 521 paires de béquilles et 37 fauteuils roulants. Jusqu'en 1994, les victimes devaient parcourir près de 200 km de mauvaises routes, jusqu'à la ville côtière de Danang, pour recevoir des soins.

Son unité pratique régulièrement des amputations, soigne les blessés et recueille les morts et il rappelle aux visiteurs que l'ancienne Ligne McNamara, la zone la plus minée, passe à moins de 50 km au nord de Dong Ha et que la Piste Ho Chi Minh, la zone la plus bombardée, se trouvait à 60 km à l'ouest de la ville. A 20 minutes de l'hôpital par une piste poussièreuse, Le Thi Homoa, 15 ans et Le Thi Nhon, 24 ans, reçoivent timidement la journaliste étrangère qui leur rend visite. Ces deux soeurs mesurent moins d'un mètre, leurs jambes tordues sont dissimulées sous de longues robes, leurs mains ressemblent à de petits pieds de bébés, des orteils à la place des doigts.

"Les docteurs m'ont dit que c'est à cause du chat-doc mau da cam, un produit qui a la couleur d'une orange", dit le père des deux filles, l'ancien combattant Le Huu Dong, 58 ans, qui parle sans le savoir des millions de litres du défoliant chimique, l'Agent Orange, déversé par l'armée américaine pendant la guerre sur la Piste Ho Chi Minh et ses environs. "Mon fils est mort à sa naissance et mes filles sont dans cet état. Je ne sais pas si cela aura des conséquences pour moi, mais ma femme travaillait pour les Sud-Vietnamiens près de Khe Sanh et les docteurs disent que les femmes sont les plus touchées", ajoute-t-il.

M. Dong précise qu'il reçoit une aide des autorités, 25 dollars tous les six mois. Le gouvernement vietnamien a estimé l'année dernière le nombre des victimes de l'Agent Orange à 79.000 personnes, la plupart dans ce qui était autrefois le Sud-Vietnam.

AFP, le 24 Mars 2000.