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Après les bidonvilles en feu, l'exode pour des milliers de Cambodgiens

ANLONG KNGANN - En pleine saison sèche, le vent balaie une campagne sans arbres, sans ombre. Les nuits demeurent fraîches, mais le soleil est dur sur le coup de midi. La toile de tente du poste d'assistance médicale est déjà brune de poussière trois jours après avoir été dressée. A l'intérieur, le tableau affiche 102 consultations le premier jour et 109 le deuxième.

"Peu de paludisme mais beaucoup de diarrhées", résume l'assistant médical. D'un puits qui vient d'être creusé plus loin sur la même piste sort une eau boueuse, impropre à la consommation : "Nous manquons de médicaments, et les gens sont très pauvres", ajoute-t-il avec un maigre sourire.

A Anlong Kngann, lieu-dit situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Phnom Penh, soit à quarante minutes à moto, la vie semble reprendre dans l'amertume pour des milliers de victimes d'incendies qui ont détruit, fin novembre, deux bidonvilles de la capitale. Les flammes ont d'abord rasé un taudis hébergeant plus de 2 000 familles dans un quartier en pleine rénovation et destiné à accueillir une promenade le long du Bassac, un bras du Mékong. Le lendemain, le 27 novembre, 1 200 autres familles ont tout perdu sur la presqu'île de Chbar Ampeu, entre les deux bras du grand fleuve.

La municipalité a démenti que les deux incendies étaient d'origine criminelle, même si le second a coïncidé, dans un secteur où les Vietnamiens prédominent, avec une visite officielle du président vietnamien, avec lequel les relations ne sont pas au mieux. La police a affirmé qu'à Chbar Ampeu l'explosion d'un petit réchaud à gaz a provoqué l'incendie, mais les gens ont démenti : les réchauds à gaz ne sont pas à la portée de leurs bourses, ont-ils dit, et la rumeur de torches balancées à partir d'une vedette rapide a circulé. Les autorités ont envoyé des camions sur place pour transférer ces populations à Anlong Kngann, où 154 hectares d'anciennes rizières ont été affectés à quelque 16 000 personnes, dont 6 000 Vietnamiens. La reconstruction des taudis a été interdite.

Deux mois plus tard, dans la campagne un peu perdue d'Anlong Kngann, un jeune couple a repris la vente des boissons sucrées sous une toile de plastique qui lui a été donnée. Il a tout perdu dans l'incendie du Bassac et a dû racheter tables, chaises et verres. "Au Bassac, en ville, je faisais de 30 à 35 dollars par jour, ici je ne gagne que 30 000 riels", dit la femme. Le dollar vaut 4 000 riels. Ses deux enfants, poursuit-elle, sont gratuitement scolarisés mais dans un bâtiment "dénudé, sans tables ni bancs". L'eau potable s'achète 700 riels le bidon de 10 litres, l'électricité produite par un générateur coûte 1 500 riels le kilowatt et les six bottes de petit bois nécessaires à la cuisine quotidienne coûtent 200 riels l'unité.

Sur le perron de l'école ouverte cette année dans un bâtiment en piètre état, un instituteur affirme que 5 000 élèves sont scolarisés. Un vendeur de crèmes glacées, qui circule à moto, dit que son chiffre d'affaires quotidien est de 3 000 riels, alors qu'au Bassac il travaillait l'or moyennant un salaire journalier de 15 000 riels. "Ma femme tenait un petit commerce, mais ici elle ne peut rien faire. Le gouvernement ne nous a donné qu'un peu de nourriture et un peu de terrain. A cause de la corruption, les responsables se servent au passage", dit-il. Le chef de la communauté venue du Bassac s'est déjà construit une maison en brique à côté de laquelle se termine un bâtiment d'un étage qui lui servira de magasin.

Sur la piste où l'antenne médicale a commencé à fonctionner le 4 février, un petit marché - fruits, viande couverte de mouches, légumes - s'est formé. Des cahutes, moitié bambou moitié plastique, abritent des cafés vietnamiens où les chômeurs traînent devant un écran vidéo. Deux tables de billard sont recouvertes de plastique en attendant que le vent s'apaise. "Une vieille sans famille est morte l'autre jour. Nous avons fait une collecte pour les funérailles", rapporte une femme dont le petit commerce de boissons jouxte le terrain où les gens font leurs besoins. Il n'y a pas de fosse septique.

Mais il semble hors de question de retourner travailler en ville. Le voyage, sur le siège arrière d'une moto-taxi, coûte 1 dollar pour aller au Bassac et encore davantage pour se rendre à Chbar Ampeu, beaucoup plus loin, après le pont qui enjambe le fleuve. L'aller-retour constitue donc une grosse dépense dans un pays où le revenu moyen quotidien est à peine supérieur à 1 dollar. Les nouveaux habitants d'Anlong Kngann se sentent coincés, et les paysans du lieu ne les ont pas vus arriver d'un bon œil. Dans une campagne assoupie, cette masse de pauvres démunis représente le risque de bagarres et, surtout, de vols.

Par Jean Claude Pomonti - Le Monde - 2 Mars 2002.