L'ampleur des manifestations des minorités illustre leur ressentiment
HANOI - L'ampleur des manifestations dans les Hauts-Plateaux
du centre du Vietnam démontre la persistance d'un sentiment anti-vietnamien
parmi les minorités ethniques, dix ans après l'annonce par les autorités
communistes de l'éradication d'une rebellion armée dans cette région.
Deux arrestations de membres des minorités à la fin du mois de janvier ont
amorcé une vague de manifestations dans les provinces des Hauts-Plateaux du
centre du Vietnam à laquelle les autorités ont encore du mal mettre fin deux
semaines plus tard.
Les responsables gouvernementaux eux-mêmes reconnaissent que les
manifestations ont été provoquées par des griefs des minorités concernant
leurs terres ancestrales et la foi religieuse de ces ethnies, principalement protestantes, qui ont connu au cours des dernières années un afflux de
"colons" de l'ethnie majoritaire Kinh ou Viet venus planter du café sur les
terres des minorites, déboisées au préalable.
Mais les analystes notent que la tradition de rebellion armée contre les
Vietnamiens des principales ethnies des Hauts-Plateaux du centre, a ajouté une
dimension à la colère des habitants locaux contre la confiscation de leurs terres et la corruption des officiels.
Un groupe d'émigrés des minorités ethniques installé aux Etats-Unis a
affirmé que les deux personnes arrêtées le 29 janvier et pour la libération
desquelles les minorités ont entamé leurs manifestations, avaient été
torturées dans un camp militaire.
Les autorités vietnamiennes, dans leur premier communiqué rendant compte
des manifestations, s'étaient empressées de signaler que ces deux personnes
avaient été libérées.
C'est la nouvelle de ces arrestations qui avait en quelques jours jeté des
milliers de membres des ethnies Jarai Ede et Ba-Na sur les routes menant aux
capitales des provinces de Gia Lai et de Dac Lac, les villes de Pleiku et Buon Me Thuot.
La libération des deux détenus n'a pas suffi à apaiser les manifestants qui
ont rapidement avancé d'autres revendications concernant "la terre et l'unité
nationale", selon les rapports officiels.
L'arrivée massive des colons Viet dans la région, a accompagné la
transformation de la région en principal centre de production de café du
Vietnam qui en est devenu le deuxième exportateur mondial.
Selon un recensement effectué en 1999, les Viet composent maintenant 51% de
la population de la province de Gia Lai et si aucun chiffre n'a été publié
pour la province voisine de Dac Lac, les officiels estiment que sa population
est passée de un million d'habitants il y a dix ans à 1,8 million aujourd'hui,
un accroissement qui ne peut s'expliquer que par une immigration massive de
Vietnamiens des plaines.
Une dimension religieuse s'est également ajoutée aux demandes des minorités
dont les églises protestantes restent hors-la-loi et sont visées par une
campagne de répression depuis huit ans, ont précisé des résidents et des analystes.
Alors que les autorités ont déployé de nombreuses troupes et hélicoptères
dans la région, les diplomates s'interrogent sur une éventuelle résurgence du
Front uni pour la libération des races opprimées (FULRO), un mouvement de
résitance qui avait combattu, du début des années 1950 à la fin des années
1980, d'abord contre la colonie française, puis contre le régime de Saïgon et
enfin contre les communistes.
"L'envoi de troupes et d'hélicoptères semble inadapté à venir à bout de
manifestations urbaines", a indiqué un diplomate à l'AFP.
En 1986, des observateurs avaient estimé que le FULRO comptait de 2.000 à 2.
500 guérilleros dans les forêts des Hauts-Plateaux.
Après avoir mobilisé 18.000 miliciens, un général vietnamien avait annoncé
en 1990 que le problème était "résolu".
Mais des petits groupes pourraient avoir continué à agir dans les années
1990, selon des rapports de presse.
En août dernier, le journal officiel Lao Dong newspaper avait indiqué que 4
membres de l'etnie Viet, dont deux policiers, avaient été blessés lors d'une
attaque menée par 150 membres de l'etnie Ede armés de fusils, de grenades et
d'armes traditionnnelles contre un village de colons dans la province de Dak
Lac.
"Il n'est pas à exclure qu'il subsiste encore deux ou trois unités des
anciens FULRO dans les forêts, a estimé le professeur Carl Thayer, spécialiste
des Affaires vietnamiennes du Centre des études stratégiques de Hawaï.
"Mais dans les Hauts-Plateaux, tout le monde appartenait plus ou moins au
FULRO, il devait donc y avoir des membres du FULRO parmi les manifestants des
derniers jours", a-t-il conclu.
Agence France Presse, le 11 Février 2001.
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