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Voyager à moto jusqu'au bout de ses rêves

Traverser le Vietnam à moto... Quelle idée ! C'est pourtant cette manière rustique de voyager qu'a choisie Quang Huu Lân, un baroudeur comme il en existe peu, mais surtout un amoureux inconditionnel de son pays natal.

Quang Huu Lân est un membre du Club hanoïen des motards aventuriers. Ce quinquagénaire, qui a su conserver la fougue de sa jeunesse, a préparé dans l'anonymat le plus total le voyage de sa vie, une ambition qu'il gardait au fond de son coeur depuis son enfance. "Vit tes rêves au lieu de rêver ta vie", telle pourrait être la devise de ce grand idéaliste. Depuis toujours, Huu Lân rêvait de grandes escapades à moto. Pas l'envie de parcourir le monde comme certains, mais seulement le Vietnam, ce pays qu'il aime tant mais que, finalement, il connaît si peu. Il rêvait d'un Vietnam en dehors des sentiers battus, un Vietnam authentique, qui nécessiterait un réel engagement et que l'on conquerrait en laissant derrière soi son confort, ses habitudes et ses exigences. Parcourir son pays de long en large était aussi pour lui la meilleure façon de lui dire au revoir. Car Huu Lân partira vivre sous peu à l'étranger...

Il semblerait que Huu Lân soit habité par le démon de l'aventure depuis son plus jeune âge. À 14 ans, il avait déjà épaté ses proches en prenant seul le bus pour se rendre dans les hauts plateaux du Centre, afin de satisfaire sa curiosité et son besoin de "voir du neuf". Rien de bien difficile à cela me diriez-vous ? Sauf que sa "balade" se passait en pleine guerre et que les bombardements américains faisaient rage...

C'est en 2002 qu'il a réalisé sa première escapade sérieuse. Un premier coup d'essai pour tester la machine... et aussi l'homme. Parti de Hué, il est descendu vers le delta du Mékong qu'il a sillonné jusqu'au cap Cà Mau. Puis il est rentré chez lui sans encombre. Cette première expérience de grand raid fut pour lui concluante. C'est donc le coeur serein qu'il s'est embarqué dans son deuxième périple, vers le Nord du pays cette fois, à travers la cordillère de Truong Son et les provinces montagneuses du Nord. Il avait baptisé son voyage : "solo à travers le Vietnam". Parti de Nha Trang, Huu Lân est revenu un mois plus tard avec 5.629 km de plus au compteur de sa Honda. "Ma vie est un voyage et je ne veux rien rater des beautés de mon pays !", a écrit Huu Lân dans son journal de bord.

À Hanoi, certains membres du Club des motards aventuriers ont été surpris de l'audace de Huu Lân. "J'étais convaincu qu'il était capable de sillonner le pays sur de très longues distances, tout seul, en moto", témoigne son copain Nguyên Huu Chi, directeur adjoint du Club. "Le vieux cow-boy", le surnomme-t-on affectueusement. Un surnom qui lui va comme un gant... Robuste, le visage tanné, portant veste poussiéreuse et chapeau à large bord, il est l'archétype du baroudeur...

Voyager, le plus court chemin pour se connaître soi-même...

Après ses deux escapades solitaires, son besoin dévorant de voyager a été satisfait. Il a pu parcourir des sites qu'il ne connaissait qu'au travers des livres ou de la télévision. Pour conserver une trace de son voyage autrement que dans sa mémoire, Huu Lân a tenu un carnet de route, sans oublier de prendre une pléthore de photos et de pointer sur une carte son itinéraire. À Dông Van, Kim Dông, Lung Cu, Côc Pai, etc... il a retranscrit dans son journal de bord toutes ses émotions et ses sensations. Quelques morceaux choisis : "Je suis en train de réaliser le voyage de ma vie. J'ai peur de ne pas avoir suffisamment de temps pour me rendre dans tous les endroits dont j'ai rêvé. Merci la vie ! Elle m'a donné des jours fantastiques ! C'est vraiment un bonheur de commencer une nouvelle journée par un voyage !", jubile le motard. Huu Lân est passionné par son pays, dont il aime autant les paysages, les vestiges historiques que les hommes. Il s'est senti plus d'une fois meurtri devant la dégradation de certains sites.

Lors de son voyage, Huu Lân a frôlé la mort à plusieurs reprises. Si les routes des montagnes du Nord plongent le motard dans des sites d'une beauté époustouflante, elles ont aussi le désavantage d'être dangereuses à cause de leur vétusté et du relief difficile. Camions et motos roulent autant à droite qu'à gauche, les virages sont innombrables, la visibilité réduite et, pour corser le tout, le climat peut devenir exécrable en un rien de temps, transformant le paisible voyage en un véritable chemin de croix ! Et à trop admirer le paysage, le risque de se retrouver les quatre fers en l'air n'est pas négligeable ! En plus, Huu Lân voyageait en Honda... pas franchement la monture idéale pour affronter les cols de montagnes !

Un jour, quittant la province de Cao Bàng pour celle de Hà Giang, il s'est retrouvé sur une route en cours de réfection. Les locaux lui conseillèrent de rentrer à Hanoi puis d'emprunter la Nationale 3 pour atteindre Hà Giang. Mais Huu Lân est plutôt du genre téméraire et opiniâtre et ne tourne pas bride si facilement. Il a parcouru 45 km sous la pluie, en poussant parfois son engin couvert de boue. Il a rencontré des montagnards de l'ethnie Dao en costumes traditionnels. Huu Lân s'est aperçu que c'est souvent dans ces moments difficiles, lorsque l'on est essoré, vidé, "purgé" dirons certains, que les rencontres sont les plus fortes et qu'elles s'impriment dans la mémoire "ad vitam aeternam"...

Une autre fois, à Dông Van, tout accaparé dans la contemplation du paysage, il est passé à deux doigt de l'accident fatal. Dans l'extrême nord du pays, Lung Cu a été arrêté par des gardes frontaliers parce qu'avec son look de baroudeur, moto poussiéreuse et gros sac arrimé sur sa selle, il faisait plus penser à un trafiquant ou à un immigrant clandestin qu'à un voyageur ! De Hà Giang à Lào Cai, par monts et par vaux, Huu Lân a dû emprunter des routes étroites et sinueuses, souvent mal revêtues et très cassantes pour le matériel et le motard. Dans ces coins reculés, où les paysages sont d'une beauté incomparable, il a fait des rencontres mémorables : des gardes frontières, des H'Mông, des anciens combattants. Finalement des rencontres simples mais qui lui ont réchauffé le coeur après de pénibles heures de selle. Et, lorsque le soir arrivait et que la conduite devenait périlleuse, il y avait toujours quelqu'un pour lui offrir le gîte et trinquer avec lui. Entouré de personnes inconnues mais finalement très proches, il savourait d'un coeur léger sa liberté, son privilège de pouvoir vivre son rêve, tout en prenant conscience de la beauté de sa terre natale et de la valeur des Hommes qui l'accueillaient...

Par Trân Hiêu - Le Courrier du Vietnam - 30 janvier 2004