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Alcools traditionnels pour virilités en berne

Parmi les nombreuses recettes exotiques qui frappent le touriste étranger voyageant au Vietnam, les alcools de serpents ou de lézards occupent une bonne place. Ces curieux breuvages, peu ragoûtants, sont pourtant très appréciés des Vietnamiens, notamment des hommes...

Il y a 10 ans, Trân Quynh était un petit malfrat qui vivait de menus larcins à Hanoi. En 1995, il fut arrêté pour vol, et envoyé sous les verrous pendant 2 ans. Deux longues années derrière les barreaux à se morfondre, mais aussi à réfléchir sur le chemin à donner à son existence. À sa sortie, Quynh n'était plus le même, bien décidé à entamer une nouvelle vie, honnête celle-là. Il ouvrit un petit restaurant puis, en 1999, après un voyage à Hoà Binh, il décida de se lancer dans le commerce d'alcools traditionnels. Le début d'une longue passion...

Qu'est-ce que l'alcool traditionnel ? C'est une notion mal définie, sans aucune réglementation de qualité ni d'ingrédients. La composition dépend donc largement de l'esprit d'imagination des patrons des débits de boissons ! Chacun est à même d'imaginer sa propre potion magique : macérations de geckos - lézards des régions chaudes -, de jeunes ou vieilles guêpes, de serpents - venimeux si possible -, d'hippocampes, de pommes de montagne, de liserons, d'herbes médicinales vietnamiennes ou chinoises, de testicules d'ours,... voire même de foetus de singe ! Des ingrédients qui semblent tout droit sortis d'un grimoire de sorcière et qui font frissonner de dégoût le Tây (occidental) en visite au Vietnam... mais qui ne l'empêche pas de repartir avec sa bouteille d'alcool de serpent dans la valise, histoire d'épater la galerie à l'heure de l'apéro (succès garanti). Pour faire simple, l'alcool traditionnel est un savant mélange d'animaux - reptiles en tête -, d'herbes et de tubercules, le tout baignant dans de l'alcool de riz. Un tord-boyaux détonnant (qui titre à 50 degrés!), censé guérir toutes sortes d'affections...

Un plaisir du sexe fort... en période de faiblesse

Trân Quynh vend surtout des mixtures destinées à revigorer les attributs masculins en berne. De gros flacons trônent sur son comptoir, où baignent bestioles et herbes en tous genres. âmes sensibles, restez à distance ! Trân Quynh est un gars honnête. En effet, après une première macération, il jette les résidus. Ses clients le savent, c'est pourquoi ils lui sont fidèles. D'autres tenanciers, bien moins scrupuleux, n'hésitent pas à verser, une fois leur client un peu éméché, des gnoles de quatrième ou cinquième macération ! Les vrais soiffards connaissent toujours les bonnes adresses et savent exactement où aller pour éviter de se faire refiler de piètres breuvages. Quynh apprécie son travail, il adore surtout sa clientèle de boit-sans-soif : "J'aime bien les hommes assis en tailleur, devant des verres et parlant bruyamment de la vie !" Autre personnage bien connu des amateurs d'eau-de-vie hanoïens : Nguyên Quôc Nam. Son bar, le "Ruou quê minh" (Alcool de notre pays natal), est situé dans la rue Phùng Hung. Vétéran de guerre, il fut blessé en 1972 à Quang Tri. Sa passion pour les alcools remonte à sa jeunesse, quand sa mère travaillait dans une distillerie à Hanoi. De nombreux déplacements lui permirent de connaître différentes formules de macération. Dans les années 1990, il acheta de l'alcool à Nam Dinh, Bac Ninh, Hung Yên, dans les provinces du delta du fleuve Rouge, réputées pour leurs bons alcools de riz. Pour répondre aux besoins de sa clientèle, il a parcouru les quatre coins du pays à la recherche de breuvages énergiques.

À l'heure actuelle, Nam possède 54.800 litres d'alcool, conservés dans 585 jarres entreposées dans une cave à Gia Lâm (Hanoi). En maturation depuis un à huit ans, ses alcools sont de première qualité. La macération se fait selon les règles de l'art, sans ajouts de substances, sans dilution, conformément à des recettes ancestrales transmises de père en fils. Nam est formel : "mes alcools ne donnent pas la gueule de bois !". Si ses breuvages sont inoffensifs pour le crâne des buveurs, ils le sont moins pour leur porte-feuille. À titre d'exemple, un litre d'alcool de sang de cerf (lôc huyêt tuu) vaut 180.000 dôngs, un autre de hung tinh ha sa tuu (où macèrent des organes d'ours) 300.000 dôngs.

"Tram phân tram !"

Selon Nam, chaque type d'alcool de riz a sa propre odeur, un peu comme le vin, mais la plupart des buveurs sont incapables de faire la différence. C'est la raison pour laquelle les patrons malhonnêtes changent parfois les flacons en catimini pour servir des alcools de seconde main. Mais gare aux buveurs expérimentés, de la catégorie des "piliers de bars", entraînés quotidiennement, qui peuvent, même après la vingtième rasade, reconnaître facilement de quel type d'alcool il s'agit. La plupart des clients du "Ruou quê minh" ont la quarantaine ou plus. A dix heures du matin, la salle est déjà comble. Les clients ne se contentent pas de boire, ils mangent également. L'alcool est versé dans de petites coupelles en céramique et avalé d'un trait. "Tram phân tram !" ("cul sec !"). À peine posée, la coupelle est remplie de nouveau, et ainsi de suite... Pas la peine de préciser que l'atmosphère est chaleureuse, on ne s'entend plus parler ! Le poète Tô Thi Vân, un grand adepte de Bacchus, avait dit : "Boire de l'alcool est un plaisir du sexe fort. Sans alcool, on manque de poésie et sans poésie, on n'a rien. La façon de boire reflète aussi votre personnalité. Le gentilhomme boit d'un air posé, l'individu vil boit comme une souris lèche de l'eau, et le béotien comme s'il mourait de soif en plein désert."

Les débits d'alcools traditionnels attirent un nombre croissant d'amateurs. Ce sont de vrais lieux de convivialité. On y voit parfois des femmes, mais elles restent l'exception. Le but est de se détendre, refaire le monde entre amis, se distraire, partager un bon repas. Certains, très malins, viennent aussi pour y discuter affaires ! M. Phan Van Tham, directeur d'une société privée révèle que "tous mes contrats sont signés dans les bars. Mes partenaires masculins, je les invite toujours à boire quelques verres avant de discuter affaires (fin stratège que cet homme-là!). Selon moi, les amis de boissons sont les meilleurs qui soient. Mais à Hanoi, c'est vraiment difficile de trouver un lieu pour cela."

C'est vrai que les bars qui vendent des alcools traditionnels ne sont pas légions à Hanoi, mais il s'en ouvre de plus en plus. L'intoxication et la dépendance guettent les plus assidus, qui d'ailleurs n'ont cure de ces risques. Avant de tenter l'expérience, sachez quand même que geckos et serpents sont plongés vivants dans les flacons... Santé !

Par Lê Tu - Le Courrier du Vietnam - 27 Août 2004.