~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

[Année 1997]
[Année 1998]
[Année 1999]
[Année 2000]
[Année 2001]

Ces enfants adoptés au Viêt-nam ont-ils été achetés?

Le procureur de Nantes poursuit dix familles pour leur «ouvrir les yeux».
NANTES - Dx familles ayant adopté des enfants vietnamiens sont passées le 17 décembre devant le tribunal de Nantes, lequel doute de la légalité des procédures. Leur nouvel enfant présent à leurs côtés, les familles doivent ensuite boucler les démarches officielles pour obtenir l'adoption plénière, garante d'un lien familial maximum: l'enfant change alors de nom et prend la nationalité française. Dans le huis clos du tribunal nantais, quelques questions ont aiguillé les débats: «Ces enfants adoptés au Viêt-nam ont-ils été achetés? Certains sont-ils nés pour constituer un capital, monnayable grâce à l'adoption?»

Le prix du voyage, les frais du séjour et des démarches légales ont évidemment un coût, mais celui-ci ne représente pas le prix d'un enfant. Dans toutes les procédures contestées, les sommes versées avoisinent les 3 000 dollars par adoption (environ 16 800 F), «dans un pays au revenu annuel moyen de 275 dollars», note Louis-Denis Hubert, procureur adjoint chargé des affaires civiles au parquet de Nantes. Ce magistrat a compétence pour toute la France, Nantes étant le siège de l'état civil des Français nés à l'étranger. «Ces sommes, versées aux intermédiaires, interprètes, tenanciers d'hôtels de Hanoi et comités populaires, sont disproportionnées, estime Louis-Denis Hubert. Et, dans bien des cas, les enfants sont remis à la famille avant même que le comité populaire ait statué sur l'adoption. Des familles françaises se sont aussi vu confier des enfants directement par les parents biologiques vietnamiens: il y a là le risque, à défaut de la preuve, d'un versement direct à ces familles vietnamiennes», estime le procureur adjoint.

Filières mercantiles. Après le Brésil et la Colombie, le Viêt-nam est devenu le principal pays d'origine des adoptions internationales en France: 1 358 enfants en 1997 et autant cette année, soit près de la moitié du total des adoptions en France. Les raisons? Les procédures, sur place, sont relativement faciles. Selon la Mission adoption internationale (Mai) du ministère français des Affaires étrangères, la durée de séjour des adoptants au Viêt-nam était de moins de quinze jours, voire de moins d'une semaine à Hanoi, au cours de l'été 1997.

Pour tenter de parer aux filières mercantiles, le consulat de France à Hanoi fait remplir un formulaire aux familles adoptantes. Objectif: repérer les intermédiaires récurrents, considérés comme soupçonnables de transactions louches. «C'est une véritable démarche vichyste, encourageant la délation et constituant un fichier parallèle», proteste Hervé Puiroux, Nantais marié à une Vietnamienne, ayant adopté une petite fille en 1996 et membre de l'association Enfance et Famille d'adoption. «En se mettant à fliquer le Viêt-nam, on reproduit l'attitude colonialiste: on les considère comme des arriérés. Les tribunaux français en arrivent à remettre en cause des documents légaux, validés par les autorités vietnamiennes, estime Hervé Puiroux. C'est de l'ingérence judiciaire, alors que les tribunaux n'ont compétence que pour débusquer les intermédiaires véreux en France, et il y en a.» Il propose plutôt d'aider les Vietnamiens à «réguler l'adoption», en s'appuyant par exemple sur l'Union des femmes, un service social organisé «qui constitue une certaine garantie.»

Réseaux douteux. Pour autant, Hervé Puiroux reconnaît qu'il existe des réseaux douteux: «Il y a des trafics, c'est évident: des chauffeurs de taxi ou d'autres intermédiaires, et même un docteur en droit, ancien combattant du Sud, qui organise une filière vers la région de Nice, et emploie quatre personnes pour mener les démarches contre rémunération. Les familles adoptantes qui passent par lui ne mettent même pas les pieds au consulat de France, qui est au courant.» Coût des papiers administratifs et des traductions: environ 3 000 F. En payant le triple, ou plus, on a de sérieux risques de dérives. «Mais il faut se replacer dans le contexte culturel. En Asie, la pratique de cadeau est normale. Certaines familles du Delta sont très pauvres...»

Le procureur adjoint Louis-Denis Hubert ne souhaite pas de sanction judiciaire contre ces couples français, «de bonne-mauvaise foi, aveuglés par leur désir d'enfant». Le magistrat propose de leur refuser l'adoption plénière, pour n'accorder que l'adoption simple, l'enfant gardant son nom d'origine. Le tribunal tranchera le 14 janvier. Mais le message s'adresse aux futurs candidats à l'adoption vietnamienne, pour qu'ils ne ramènent plus des enfants en bafouant les règles de droit. Pour sa part, le procureur dit souhaiter avant tout «ouvrir les yeux» aux familles.

Par Nicolas de la Casinière - Libération, le 25 décembre 1998.