Des familles manifestent contre le blocage des adoptions au Vietnam
Quand les Français pourront-ils de nouveau adopter des enfants
vietnamiens ? Quelques-uns des 1 342 candidats à l'adoption qui
attendent, depuis des mois, l'aboutissement de leurs démarches devaient
manifester, samedi 20 octobre au matin, à Paris, devant la Mission à
l'adoption internationale puis devant le ministère de la famille. Ils ont
réclamé un "signe fort du gouvernement français" alors que "la reprise
effective des adoptions d'enfants au Vietnam n'est pas amorcée". Douze
enfants vietnamiens ont été adoptés depuis novembre 2000. A la fin des
années 1990, ils étaient près de 1 500 à être accueillis chaque année,
faisant du Vietnam le principal pays d'origine des enfants adoptés en
France. Entre ces deux dates, toutes les procédures d'adoption ont été
suspendues durant un an : en avril 1999, le gouvernement français a pris
cette décision après avoir constaté des "pratiques douteuses" dans ce
pays, qui n'a pas ratifié la convention de La Haye (1993). En février de
l'année suivante, une convention bilatérale a été signée pour clarifier la
procédure d'adoption au Vietnam. Très officiellement, les autorités
françaises pouvaient donc annoncer, le 1er novembre 2000, la réouverture
des adoptions au Vietnam.
Depuis lors, pourtant, seules dix familles (une dizaine d'autres seraient sur
le point d'aboutir) se sont vu attribuer un enfant par les autorités
vietnamiennes. Ségolène Royal, la ministre de la famille et de l'enfance,
s'était engagée, en mai, à ce qu'un tiers des dossiers en souffrance soient
traités durant l'été (Le Mondedu 9 mai). Cela n'a pas été le cas. "La
situation est toujours bloquée", admet-elle aujourd'hui. Et l'exaspération
des familles est à son comble. Nathalie Mahut, présidente de l'association
Pousses de bambou, elle-même postulante à l'adoption, évoque l'"état
d'esprit terrible des adoptants" : "Chacun commence à suspecter l'autre
de faire avancer son dossier par tous les moyens. En fait, les gens
commencent vraiment à désespérer. Ils sont
détruits par toutes ces promesses non tenues,
et dans l'angoisse qu'à force de traîner, leur
dossier, et même leur agrément, finissent par
devenir caducs."
Soutien aux orphelinats
Les raisons du blocage semblent multiples. Le nombre d'enfants adoptables au
Vietnam va diminuant. Les relations entre le ministère de la justice vietnamien,
partisan de la réforme, et les comités populaires des différentes provinces, qui
avaient auparavant compétence exclusive, sont complexes. "L'ambassade du
Vietnam nous a aussi expliqué que les directeurs d'orphelinat vivaient mal le
fait d'être dépossédés de leur mission d'attribution des enfants, explique
Mme Mahut. Auparavant, ils recevaient les parents tous les jours pour les
jauger. Désormais, ils reçoivent des dossiers des comités populaires, et
éprouvent des difficultés à attribuer un enfant à un dossier."Autre problème
majeur, celui des dons aux orphelinats. La convention bilatérale les a interdits.
"C'est de la coopération internationale mal pensée !, s'insurge Danielle Housset,
présidente d'Enfance et familles d'adoption. Il aurait fallu inciter les familles à
des dons en nature. Car c'est bien avec les dons des adoptants que les
orphelinats fonctionnent !"
Au ministère des affaires étrangères, on évoque dorénavant la possibilité d'un
"soutien aux orphelinats". Ségolène Royal envisage plus précisément de faire
transiter les dons des familles par la Fondation de France, à l'instar de ce qui se
pratique aux Etats-Unis. Reste encore, selon la ministre, un "problème
d'honneur" : "La France a fait à un moment des déclarations un peu
arrogantes sur des "pratiques douteuses", qui nous sont revenues comme un
boomerang." Une conférence de presse conjointe avec Hubert Védrine, le
ministre des affaires étrangères, est prévue sous quinze jours, indique Mme Royal,
pour "refonder politiquement l'adoption internationale", qui n'est "pas un acte
de charité envers les pays d'origine" : "Ce sont les enfants qui font le bonheur
des familles françaises."
Une réforme de la Mission à l'adoption internationale devrait par ailleurs être
annoncée. Car l'impatience des familles est exacerbée par le manque d'information.
"Depuis juin, la Mission à l'adoption internationale ne nous informe de rien.
Cela alimente fantasmes et paranoïa des familles", souligne Nathalie Mahut.
Mission interministérielle rattachée au ministère des affaires étrangères, la Mission à
l'adoption internationale, censée transmettre les dossiers aux administrations des
pays d'origine des enfants, dialoguer avec ces administrations et informer les
postulants, n'est que très difficilement joignable, témoignent les associations de
familles. La ministre de la famille évoque le "dysfonctionnement" de ce service
public, les "non-réponses au courrier, le traitement des adoptants, qui manque
parfois de qualités humaines". Pourquoi, s'interroge-t-elle, ne donne-t-on pas
aux familles des informations aussi simples que les délais d'attente minimaux, ou des
conseils pour se réorienter vers des pays (comme la Chine, Haïti, la Russie, la
Bulgarie) où il est actuellement plus aisé d'adopter ? "La Mission à l'adoption
internationale a beau informer, certaines familles n'entendent pas, plaide-t-on
au cabinet d'Hubert Védrine. L'espoir d'adopter au Vietnam est trop fort."
Par Pascale Krémer - Le Monde, le 21 Octobre 2001.
|